La Traviata de Verdi à Paris

© Charles Duprat / OnP
Violetta connectée

18 septembre 2019: A Garnier, l’éternelle Traviata a les yeux de Pretty Yende. En gros plan, tel un tableau animé, son immense regard intense et fardé nous capte alors que le rideau n’est pas encore levé. La soprano sud-africaine incarne Violetta, casse les codes pour se métamorphoser en jeune femme indépendante à l’ère du numérique, et on la retrouve dans un nouveau rôle toute en fraîcheur et vibrante d’émotions.
 
La nouvelle production de Simon Stone fait bouger les lignes du temps. Le jeune metteur en scène australien parvient à déconstruire l’intrigue du XIXème siècle en l’inscrivant avec talent dans l’essence même du monde contemporain. Violetta gagne sa vie avec son image sur les réseaux sociaux. Influenceuse de mode, égérie de la marque de parfum "Villain", sa vie branchée défile sur les écrans, quantifiée en "followers", "like", émoticônes et cœurs. Sur un plateau tournant agrémenté d’immenses projections d’écrans familiers de WhatsApp, Facebook ou Instagram, la scénographie rend compte de sa boulimie de vie juvénile, de ses excès superficiels comme du tragique, de la mélancolie et de la douloureuse issue. 

© Charles Duprat / OnP
Violetta coche toutes les cases du quotidien numérique: apprendre la récidive de son cancer par mail, comme les alertes de la banque ou les propositions de mutuelles qui encombrent nos boîtes, les textos entre amoureux ou les images de la presse people. Passé le temps de la gloire 2.0, on oubliera l’icône qui s’éloignera des réseaux pour affronter seule la maladie. 

Simon Stone parvient à rendre cette production captivante et émouvante. Il accumule humour et détails piquants mais justes comme la superficialité des relations, le surdosage d’échanges, le goût pour le paraître et le clinquant. 

Pretty Yende et Benjamin Bernheim
© Charles Duprat / OnP
Sa narration nous tient en haleine, on alterne le sourire aux lèvres et les frissons d’émotion. Par quelle alchimie réussit-il ce tour de force ?
Peut-être parce qu’il a su sonder le cœur d’une jeune fille de l’époque, nous la rendant délicieusement attachante dans le tourbillon de ses doudous numériques. Remplacer la déchéance du corps par la tuberculose par le cancer est aussi douloureusement actuel. L’envers du décor de sa vie solaire fait de néons blafards et d’arrière-cuisine encombrée de poubelles contraste violemment pour nous plomber le cœur. Tous les changements de décors s’enchaînent rapidement avec une extrême limpidité, la réalisation est techniquement parfaite et bien huilée. 

Pretty Yende et Ludovic Tézier
© Charles Duprat / OnP
Aussi parce Pretty Yende est incroyablement investie et bouleversante de bout en bout. Elle incarne ce rôle pour la première fois, d’un chant qui irradie et captive. Au II, son duo avec Ludovic Tézier en impérial Germont est un moment d’une intensité inouïe, comme l’ultime agonie au III. Benjamin Bernheim est son Alfredo contemporain, la voix est belle, puissante et riche de nuances.

Enfin, difficile d’oublier qu’il y a tous les sentiments dans la musique de Verdi, que celle-ci nous porte, que le soyeux de l’Orchestre de l’Opéra de Paris sous la baguette de Michele Mariotti en fait un enchantement.


Opéra de Paris, 15 septembre 2019
Benjamin Berheim (Alfredo), Michele Mariotti (Direction), 
Pretty Yende (Violetta), Ludovic Tézier (Giorgo Germont)


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