Jonas Kaufmann et Sophie Koch © Opéra national de Paris |
29 décembre 2015 : Pour Hector Berlioz, le Doktor assoiffé de vie et d’action est devenu un homme à la recherche désespérée du sens de la vie, envahi par le mal de vivre.
"Légende dramatique", La Damnation de Faust n’est pas un opéra mais une forme d’oratorio conçue pour le concert. D’où une intrigue décousue et de nombreuses scènes brèves qui constituent un défi pour les re-présenter, entendre: présenter à nouveau ce mythe faustien avec une créativité qui oblige à repenser la portée de l’ouvrage.
Alvis Hermanis, le maître d’œuvre de cette ambitieuse production ne s’en tient pas à imaginer la figure contemporaine de Faust, il s’aventure dans le sillage de Mars, une planète comme seul refuge pour fuir la catastrophe écologique.
Premier volet d’un cycle Berlioz dirigé par Philippe Jordan, cette Damnation devait être le spectacle-événement de la saison ; il le restera par la déception liée à sa mise en scène qui brasse toutes sortes de registres sans parvenir à convaincre. Une accumulation asphyxiante d’éléments de scénographie et un manque d’intérêt réservé aux chanteurs qui ont définitivement allumé le feu dans Bastille.
Musicalement, pas besoin d’aller sur Mars, les étoiles sont sur scène et dans la fosse. D’autant plus que c’était le retour de grandes voix après des années d’absence sur la scène parisienne. Impressionnant Faust de Jonas Kaufmann dont "l’invocation à la nature" est un moment rare. Lunettes de professeur d’université sur le nez, le ténor chante avec une classe folle. Son génie des nuances, cette intensité du chant et cette poésie d’incarnation ont construit son succès planétaire. Bryn Terfel imposant de stature et de voix, est en grande forme, et Sophie Koch très émouvante en dépit de l’environnement incongru.
Le metteur en scène avait donc pour ambition de ré-imaginer l’audace intellectuelle de Faust à travers un nouveau prisme. Qui pourrait être le Faust du XXIe siècle ? Quel pacte peut-il signer avec Méphistophélès pour sauver Marguerite, et plus largement la vie sur terre. La vision d’Alvis Hermanis rejoint celle de l'astrophysicien Stephen Hawking, pour qui le salut de l'humanité passe par la colonisation d'autres planètes. Le voyage sans retour devient le nouveau pacte conclu.
L’idée séduit mais la concrétisation désenchante. Car en redécouvrant l’opéra sous l’œil resserré des caméras de télévision, on réalise à quel point l’imagination du metteur en scène s’est perdue dans un foisonnement d’idées déroutantes visuellement. D’où une conception théâtrale en mille-feuille qui rend le spectacle indigeste et qui empêche les spectateurs de profiter pleinement du plateau vocal superlatif.
Bryn Terfel |
Un bric-à-brac mélangeant Mars One, 200 candidats-spationautes en route pour aller habiter sur Mars, Stephen Hawkins en fauteuil omniprésent sur scène, des danseurs en slips en crise de tétanie ou en chaleur, des images de Microcosmos "peuple de l’herbe", un zoom sur une FIV, Adam et Eve, des méduses, des rats, une baleine à bosse, une sonde spatiale, un robot, etc.
"On a dans cette production ce qu'il faut en terme d'image, de vidéo, de danse" confessait Jonas Kaufmann dans la presse avant la première. Et de regretter que les trois chanteurs, "qui adorent jouer", ne soient pas plus sollicités: "on pourrait probablement en faire plus". Cette frustration du ténor est perceptible pendant toute la première partie. Lui qui excelle en implication dramatique, il semble s’ennuyer copieusement.
Car le metteur en scène s’amuse à perdre spectateurs et chanteurs. Pour ces derniers, il leur a fallu probablement puiser dans leurs ressources de concentration pour œuvrer dans de telles conditions (huées du public à la fin des tableaux).
Cette production n’est même pas scandaleuse: elle irrite par ses détours ineptes et son hybridation de formes.
Un trop-plein d’images et de détails. Trop de tout (sauf de chanteurs): overdoses de danseurs épileptiques, de sous-vêtements, de cages en verre, d’échafaudages, d’images encombrantes, de rangs d’oignons de choristes, …
J’en suis ressortie amère, triste, et en colère. Amertume d’écoper des dérives d’une conception aventureuse qui s’écrase au sol avant de décoller. Tristesse de voir une distribution de haut vol embarquée dans une galère. Colère de subir ce hold-up artistique alors que le plateau vocal fait rêver tous les mélomanes et les maisons lyriques de la planète. Heureusement à eux seul, ils justifient pleinement cette soirée et l’ovation qui leur a été offerte en est la preuve sincère et reconnaissante.
La mise en scène ne fonctionne pas parce qu'elle ne transpose pas l'essentiel du pacte faustien : j'acquiers une nouvelle vie au prix de ma perdition... Dans le prologue il est dit : la philosophie est morte et c'est nous autres les scientifiques qui reprenons le flambeau. C'est le scientisme le plus naïf qui est ici exposé : Comme si l'aventure spatiale n'impliquait aucun enjeu éthique. D'ou une absence totale de lien avec la problématique du texte. Toutes le interventions de Marguerite deviennent incongrues et Mephisto n'a rien d'inquiétant.
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