Jonas Kaufmann (Turiddu), Liudmyla
Monastyrska (Santuzza)
Photos © Matthias Creutziger /Festival de Salzbourg
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6 avril 2015 : Le Festival de Pâques de Salzbourg affichait deux représentations du diptyque apprécié des amateurs du vérisme abouti porté par une distribution remarquable : Cavalleria rusticana signé Pietro Mascagni et I Pagliacci de Ruggero Leoncavallo. Chaque partition courte, d’un acte, compose le double portrait d’un drame amoureux passionnel et tragique s’achevant dans la mort. De mon salon, je n’ai eu accès qu’au premier ouvrage d’un synchronisme temporel parfait puisque l’intrigue se déroule au moment de Pâques.
Avec sa naïveté brute et sa force dramatique saisissante, Cavalleria rusticana est un opéra intense et désespéré dont le lyrisme vous prend à la gorge jusqu’aux dernière notes. Une tragédie sombre et pathétique ancrée dans une réalité sociale dans laquelle Jonas Kaufmann et ses partenaires subliment la charge émotionnelle engendrée par les sentiments humains exacerbés.
Dans ce rôle d’anti-héros infortuné à fleur de peau, la performance vocale et l’investissement dramatique du ténor sont admirables. Il n’est pas le seul car l’étoffe vocale et les élans bouleversants de Luidmyla Monastyrska l’accompagnent. De longues ovations ont accueilli cette nouvelle production, à mettre également au crédit de l’harmonie parfaite régnant entre la direction de Christian Thielemann et l’inventivité scénique de Philipp Stölzl, libérant l’ouvrage du vérisme emprunté souvent caricaturé. Les couleurs et les éruptions musicales explosives de l’orchestre de Dresde parachèvent la magie de cette représentation.
La musique de Pietro Mascagni contribue à l’ambiance dramatique ; elle se fait crescendo à l’arrivée des protagonistes, jour de fête religieuse au son des cloches et de l’orgue de l’église, jusqu’aux harmonies des chœur quasi antiques d’un village sicilien.
Né pour flamber sur scène, Jonas Kaufmann a cette passion de l’opéra et cette exigence du chant qui lui permettent aujourd’hui d’aborder quatre prises de rôles en trois mois. Là ou d’autres ne font que chanter, lui, il raconte une histoire, armé de l’intensité de son regard et du mordant de son timbre, jusqu’à l’immersion émotionnelle offerte au public. D’où cette vibration dans les profondeurs d’une âme qu’il parvient à incarner dans sa voix. Ici c’est Turiddu, l’amant malheureux et écorché, qui revit pour nous.
Annalisa Stroppa, Liudmyla Monastyrska, Jonas Kaufmann |
C'est l'histoire d'un paysan qui s’était fiancé à Lola avant de partir au service militaire. A son retour, il apprend le mariage de sa fiancée avec Alfio. Par dépit, il séduit Santuzza et lui promet le mariage, tandis que Lola, coquette et jalouse, entreprend de reconquérir son premier amour. C’est alors qu’intervient le mari offensé. Nous sommes en Sicile, la vengeance et le duel à mort sont inévitables.
Dans le rôle de Santuzza, la soprano ukrainienne Luidmyla Monastyrska est elle aussi habitée d’une émotion visible. Pas de dramatisation de la jalousie ni de cataclysme de femme éplorée mais une incarnation d’une justesse bouleversante. Rien ne pourra adoucir le ressentiment et le désir de vengeance de l’amoureuse humiliée. Face caméra, son regard sombre embué de larmes est saisissant de vérité, comme dans la scène où elle vient chercher Turiddu chez Mamma Lucia incarnée par Stefania Toczyska.
Ambrogio Maestri, Liudmyla Monastyrska |
On est d’emblée transporté par la puissance absolue de la dramaturgie de cette Chevalerie campagnarde et de sa composante éminemment théâtrale que la musique exalte. Philipp Stölzl recrée l’univers en noir et blanc du cinéma néo-réaliste italien des années 50, un cinéma marqué par le besoin de planter la caméra au milieu de la vie réelle pour capter la véritable et touchante humanité des personnages. Les décors sont dessinés aux traits naïfs qui sont la signature des bandes dessinées. D’une façon astucieuse, le metteur en scène a découpé l’immense scène du Festspielhaus en six mini-espaces répartis sur deux niveaux. Les mouvements de foule se déroulent au sol et les scènes plus intimistes se jouent à l’étage, dans de petites pièces de vies malmenées donnant sur les toits et les cheminées d’usines. Tout cela dans une grande fluidité. Les visages des chanteurs sont projetés en gros plan par moment, une vision cinématographique où la souffrance, la détresse et la résignation s'y expriment avec une force dramatique saisissante.
L'univers scénique est riche en images fortes comme Turiddu étreignant le jeune enfant, celle du couple d’amants à sa fenêtre sorti d’une séquence d’un film de Vittorio de Sica et bien sûr la dernière scène des adieux à la mère avec le déchirant "Mamma, quel vino è generoso". De sa voix profonde et jupitérienne Ambrogio Maestri campe Alfio, le mari plus mafieux que jaloux abusé par les égarements amoureux de son épouse incarnée par Annalisa Stroppa.
"Quelles qualités sont requises pour ces deux rôles ? " demandait un journaliste récemment à Jonas Kaufmann. "Il ne faut pas craindre pour sa voix avec ces rôles. Certes, ils sont encore plus exigeants que Des Grieux dans Manon Lescaut et Alvaro dans La Forza del destino. Mais le plus importante dans ces deux personnages emblématiques de l’opéra Verismo, c’est l’énergie émotionnelle à fournir. Elle est comparable à celle d’Otello, un rôle où vous êtes plus soucieux de l’exubérance des sentiments que du chant lui-même. Vous vous sentez tellement emporté que vous aimeriez vous donner à 120%, mais vous devez économiser vos forces !", répondait-il.
Photos © Matthias Creutziger /Festival de Salzbourg
Quel magnifique article vous faites sur cette production toute récente, diffusée depuis le festival de Salzbourg ! Ce Cavalleria Rusticana est en effet d'une grande inventivité, par son contexte, et par sa mise en scène, très cinématographique comme vous le mentionnez si justement, dont les couleurs, ou plutôt l'absence de couleurs, nous plongent presque dans le monochrome. Quant à Jonas Kaufmann, que dire ! Il est tout simplement superbe... ! Concernant le Pagliacci du même festival, si vous ne l'avez pas encore vu, voici le lien pour le visionner sur youtube :
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=vqYxbpQSNy8
Encore merci pour ces beaux articles !
Merci Clelia ! Qui d'autre aujourd'hui pourrait interpréter avec autant d'émotion ces rôles !? La deuxième partie de Paggliaci est aussi théâtralement très forte : quand il se transforme en Pierrot triste avec de la pâte blanche de maquillage et un immense sourire au rouge à lèvres. Superbe !
RépondreSupprimerMais de rien !
RépondreSupprimerCette scène du maquillage, en silence et face au public est effectivement très forte, et m'a personnellement fait frémir... Et que d'émotions dans son ultime "La commedia è finita !", un jeu d'acteur extraordinaire !