Marina Rebeka, Juan Diego Florez
© Wiener
Staatsoper/ Michael Pöhn
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29 février 2016 : Roméo et Juliette de Charles Gounod revient à l'Opéra de Vienne pour trois représentations dont la dernière sera diffusée en live streaming le 1er mars.
Cette reprise de la production de Jürgen Flimm créée en 2001 avait beaucoup à offrir : Juan Diego Flórez pour son premier Roméo européen et les débuts viennois de Marika Rebeka dans le rôle de Juliette. Ils ont tous deux la juvénilité scénique qui convient l’universalité du mythe.
Le ténor l’a chanté une première fois à Lima en 2014 et la soprano lettone à Vérone en 2013. Le couple lyrique se retrouve après Guillaume Tell au Festival Rossini de Pesaro la même année.
Ténor et soprano trouvent dans cet opéra deux des plus beaux rôles pour s’élever et se consumer dans un lyrisme éperdu. Charles Gounod a composé probablement la meilleure adaptation de la pièce de Shakespeare. Aucun opéra n’est aussi fidèle à la tragédie éponyme et le génie romantique du compositeur s’accomplit dans les nombreuses scènes d’amour. Les quatre duos d’amour charpentent les étapes de leur amour : le coup de foudre, l’épanouissement de la passion, le réveil d’une nuit d’étreintes et l’ultime sacrifice dans la mort.
Des aigus rayonnants et de beaux moments d’opéra romantique : Juliette rêvant de mariage sur une lune jonchée de pétales rouges sur fond de nuit bleue étoilée, le réveil à la première nuit d’amour et le dernier duo où Roméo vacille et délire avant de rejoindre Juliette dans la mort.
La mise en scène dépouillée, sans balcon à escalader, n’est pas des plus spectaculaires mais sa conception intemporelle est séduisante. Les tableaux shakespeariens se déroulent autour d’une unique demi-lune retro-éclairée, terrain de jeu sportif aux élans des protagonistes. Son esthétique bénéficie surtout des atouts des jeux de lumière de Patrick Woodroffe. Un habillage scénique où s’enchaînent l'éclat d'une fête vénitienne masquée, les flashs d’un concert disco, des effets pyrotechniques sur des structures métalliques, une pluie de confetti tombant des cintres, des halos de lumière isolant les chanteurs en solo et, le plus poétique, une grande nuit étoilée particulièrement réussie.
Les costumes contemporains de Birgit Hutter se déclinent en rouge et noir pour distinguer les deux familles ennemies : cuir noir de motards pour les Montaigu et soie rouge de carnaval vénitien pour les Capulet.
Les grandes voix procurent toujours beaucoup d’ivresse. Dans le rôle de l’adolescent fougueux, Juan Diego Flórez trouve sa place dans cet opéra romantique. Pourtant ce Roméo constitue un changement de registre pour le ténor qui s’impose plus de gravité dans le choix de ses rôles. C’est la première étape d’exploration du répertoire français, avant Werther au Théâtre des Champs-Elysées en avril et Les Huguenots à Berlin en fin d’année.
Mais il chante Roméo avec sa signature innée toute en élégance sensible, la rondeur et la douce mélancolie ayant enrichi l’une des plus belles voix actuelles. Vertige lyrique imparable dans les hauteurs et pianissimi sur de longs souffles, la technique est magistrale. Une générosité qui fait de lui l’un des artistes les plus attachants qui déclare son affinité pour notre langue. Il met toute l’intensité du monde dans "Ah ! Lève-toi soleil" qui fait littéralement craquer l’auditoire pendant de longues minutes.
Technique solide également et timbre corsé pour Marina Rebeka en Juliette. La soprano lettone s’investit dramatiquement et physiquement dans son personnage, avec toutefois un français perfectible. Mais cela s’oublie vite tant son assurance éclate dans l’ascension de ses aigus et sa puissance de feu remplit l’espace. Elle vient à bout de sa partition musclée pour emporter la salle dans "Je veux vivre !" et le consistant "Amour, ranime mon courage".
Le couple déploie d'émouvantes intonations, au réveil de leur nuit d’amour et "Nuit d’hyménée, Ô douce nuit d’amour", comme dans les dernières forces de l’adieu "Viens, fuyons au bout du monde".
Le chœur et les rôles secondaires entourent le couple-vedette et chantent avec conviction : Rachel Frenkel (Stéphano), Carlos Osuna (Tybalt), Gabriel Bermudez (Mercutio), Carole Wilson (Gertrude), Alexandru Moisiuc (Frère Laurent). L'orchestre du Wiener Staatsoper est dirigé par Marco Armiliatio qui souligne toute la poésie et le lyrisme de Gounod jusqu’au final tragiquement passionné.
De très longs et chauds applaudissements ont salué la performance musicale du couple lyrique et du chef.
Juan Diego Florez et Marina Rebeka
Roméo et Juliette - Wiener
Staatsoper le 26 février 2016
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J'ai apprécié cette belle et courageuse évolution de JDF vers les rôles dramatiques. Il en a l'étoffe, la conviction et le talent. Bravo pour ce deuxième Roméo.
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