Piotr Beczala et Elīna Garanča © Émilie Brouchon / OnP |
2 février 2016 : Depuis le 20 janvier, Werther de Jules Massenet signé par le cinéaste Benoît Jacquot connaît un nouveau triomphe. Les héros ont changé, le couple Werther-Charlotte est incarné par deux des plus grandes voix actuelles : Piotr Beczala et Elina Garanča, tous deux ovationnés par un public conquis.
Dignes ambassadeurs de ce répertoire, ils déploient les couleurs vocales qui conviennent idéalement à ce duo-phare de l'opéra romantique français du XIXe siècle.
Je voue depuis toujours une adoration à cette musique sublime qui se coule dans les méandres d’un romantisme tendre et tourmenté. Une musique de l’âme qui s’insinue dans un flux orchestral d’une bouleversante efficacité dramatique. Rarement, une musique aura aussi bien traduit le mal d’amour porté à son paroxysme.
Rendre crédible et intense cette histoire romanesque à une époque où la modernité et la relecture sont de bon ton, tel est le talent du metteur en scène qui manie avec élégance le lyrisme en demi-teintes d’un romantisme assumée. Ancrée dans le XVIIIe siècle, le cadre dépouillé sied au charme poétique des tableaux éclairés comme des peintures flamandes.
Piotr Beczala (Werther) |
Werther plus intériorisé que tourmenté, le ténor polonais Piotr Beczala s’impose par la splendeur de son timbre et sa diction parfaite du français. Son aisance technique est à la fois conquérante et empreinte d’une délicatesse toute attentive aux raffinements de la partition. Poignant "Lorsque l'enfant revient d'un voyage…" et impressionnant Lied d’Ossian.
Charlotte vertueuse, toute en émotion contenue, la mezzo lettone Elina Garanča fascine par la somptuosité de sa voix. Olympienne, et si ample qu’elle s’épanouit sans faillir dans l’immensité de Bastille. Remarquable à l’acte III, transfigurée et touchante au IV.
Elīna Garanča (Charlotte) |
Stéphane Degout campe un Albert altier, un second rôle dans la carrière du baryton français mais une grande voix qui brille désormais sur la scène internationale.
Dans le rôle de Sophie, la jeune Elena Tsallagova séduit incontestablement par la fraîcheur de son chant.
On ressort de cette soirée totalement sous le charme. Comment ne pas être conquis par une telle qualité de chant porté par l’engagement sincère et émouvant des interprètes.
On ressort de cette soirée totalement sous le charme. Comment ne pas être conquis par une telle qualité de chant porté par l’engagement sincère et émouvant des interprètes.
Werther c’est à la fois la simplicité d’une histoire et l’intensité des sentiments. Le jeune poète amoureux se heurte à la détermination de Charlotte à respecter la promesse faite à sa mère d’épouser un autre homme. Deux univers tragiques vont s’affronter, se chercher, se poursuivre sans pouvoir s’oublier jusqu’au renversement final : la passion désespérée de Werther se résoudra dans la paix apportée par la mort tandis que la sérénité de Charlotte fera place à un désespoir sans issue. Il y a dans ce final quelque chose de très profond, de très douloureux, une résonnance à nos propres souffrances enfouies du passé. Qui n’a pas souffert un jour d’un amour impossible ?
Piotr Beczala, Elena Tsallagova (Sophie) et Stéphane Degout (Albert) |
Il faut rendre hommage au génie du metteur en scène qui a su rendre si juste et si bouleversante cette fin tragique dans ce que l’on qualifie désormais de "mélo" à notre époque. On lui doit pour l’éternité l’envoûtante beauté théâtrale de l’acte IV : la chambre d’un Werther agonisant s’avançant lentement sous l’explosion symphonique et l'évocation tranquille de la chute de la neige pendant la longue scène d’adieu.
Un seul regret, l'absence du Maestro Michel Plasson dans la fosse. Sa direction fluide, ciselée et attentive nous a manqué. Ayant dû renoncer pour problème de santé, Giacomo Sagripanti est à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, en très grande forme. Mais le jeune Chef devrait s’inspirer des qualités de la direction d’anthologie de son ainé : l’attention portée aux chanteurs, tout en soulignant avec subtilité les couleurs incomparables de la partition.
Werther - Opéra Bastille - 1er février 2016
Et cependant, on voudrait toujours pouvoir revivre le Werther de 2010...
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