10 juillet 2018 : Emblème de l’âme russe, l’opéra de Moussorgsky concentre deux drames humains qui s’entremêlent: le destin shakespearien du héros et l’épopée du peuple russe maltraité, épuisé, manipulé. D’un côté, Boris, le tsar dans sa toute puissance mais rongé de remords, de l’autre, la fresque collective théâtre de scènes chorales d’une grande puissance.
L’Opéra Bastille présente une nouvelle production en demi-teintes d’Ivo Van Hove. Ildar Abdrazakov y fait d’impressionnants débuts dans le rôle-titre sous la direction de Vladimir Jurowski, toute en nuances et tension dramatique, comme l’interprétation magistrale des chœurs de l’Opéra de Paris.
La basse russe compose un personnage infiniment humain. Physique imposant pour l’endurance, voix de basse tellurique moirée de velours pour l’émotion, son Boris est magnifique. Un rôle où il chante la moitié du temps, concentré, éprouvant. "Le chant est pensé de façon dramatique et pour l’interprète, il est impossible de se reposer." dit-il. La dernière scène de la mort de tsar délivre les derniers accents bouleversants. C’est figé sur l’escalier, épuisé, le regard encore habité de la tragédie qu’Ildar Abdrazakov recueille alors une ovation digne des plus grands.
© Agathe Poupeney / Opéra de Paris |
Le compositeur russe s’inspire de l’ouvrage de Pouchkine, en partie véridique. Boris Godounov étant censé être devenu tsar après avoir assassiné le tsarévitch Dimitri, le plus jeune des fils d’Ivan le Terrible. Un fait historique dont l’interprétation divise encore les historiens, Dimitri se serait en vérité tué lui-même accidentellement d’un coup de couteau lors d’une crise d’épilepsie. C’est la version originale de 1869 que présente l’Opéra de Paris, le récit sombre de la grandeur et de la décadence de Boris, plaidant le bénéfice du doute plus que sa culpabilité.
Oublié le faste doré de la cour des tsars, Ivo Van Hove opte pour une mise en scène sobre : vaste espace dépouillé, décors minimalistes se réduisant à un grand escalier, sol brut fatigué de rayures, économie de mouvements et banalité des costumes contemporains.
Pourtant, ce choix de théâtre sombre et nu convient bien à ce Boris en errance dans sa culpabilité, à la noirceur de ses pulsions autodestructrices. Ildar seul en scène parvient à faire monter l’émotion par son incarnation.
Bel effet que ce spectre de l’enfant assassiné ouvrant l’opéra, démultiplié ensuite à l’heure des tourments et de la mort de Boris, puissance de cette vision sur le corps poignardé dans la vidéo omniprésente en fond de scène. Pour le reste de la distribution, dommage de ne pas avoir plus travaillé le décorum, les chanteurs y auraient gagné en intensité dans les scènes intimistes.
Mais quel bonheur musical, ce Boris Godounov retrouve sa grandeur !
Boris Godounov - Opéra Bastille - 2 juillet 2018 |
Photos © Agathe Poupeney / Opéra de Paris
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