Dès l’attaque virile suivie des premières notes ciselées, le talent d’envergure de Jonas Kaufmann éclate. D’emblée, la beauté fulgurante de l’instrument séduit, la profondeur dans le regard y ajoute le sens et la lumière.
Deux ans que nous ne l’avions pas entendu à Paris dans l’art intimiste du Lied accompagné de son pianiste et complice Helmut Deutsch.
L’impatience qui précède son entrée sur scène est comparable à celle qui prélude aux plus remarquables exploits sportifs. Il semble chanter du corps entier mais surtout il trouve immédiatement l’intonation juste, le phrasé, l’expression du visage, créant la tendre complicité immédiate avec son public. Le silence s’installe (enfin presque, toujours quelques tousseurs débridés !).
Les lieder de Liszt ouvrent ce récital, le ténor semble en retenu mais pour ces poèmes parmi les plus désespérés, l’exercice est rude et difficile. Avec les Rückert-Lieder de Strauss, les émotions des poèmes sont complexes multipliant les ruptures de rythme. Mais la voix se coule dans les lignes mélodiques, impressionnistes, douloureusement intimes ou magistrales.
Après la pause, il semble plus détendu avec les Liederstrauss de Wolf. Viennent enfin Les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss, traditionnellement chantés par une soprano. De grandes cantatrices s’y sont illustrées, bercées par la délicatesse enveloppante de l’orchestre. Ce soir, Jonas s’y risque dans la sobriété inhabituelle du chant seul accompagné du piano. La voix se pare de toutes ses couleurs et on admire la qualité de prononciation en fusion avec le texte. Il puise dans toutes les réserves de souffle et parvient à créer ce sentiment d’infini qui bouleverse. Dans l’ambiance crépusculaire de ce sublime testament, on ressent alors toute la plénitude de ce moment d’exception. Lui retrouve son sourire.
Ce grand musicien peut donc tout chanter ? Du moins chanter de tout, au moment choisi dans sa boulimie de passeur d’émotions. Son intonation, son souffle, son inventivité dramatique s’arrange de l’écriture de l’ouvrage. Jamais en routine ou en représentation rôdée, dans une vérité proprement saisissante. Comme une vocation à traduire de toutes ses forces et de son pouvoir créateur, les vibrations de l’âme humaine où il est passé maître dans l’incarnation par la voix.
L’infatigable interprète fait mouche à chaque fois, démontrant, si cela est encore nécessaire, que l’écoute de beaucoup d’opéras se renouvelle avec la présence d’une tel chanteur. Verdi, bien sûr, pour son premier Otello à Londres et son "Esultate" claironnant déchirant le voile des doutes après une pause forcée. Ou Don Carlos à Paris, trouvant mille et une couleurs pour incarner l’Infant au cœur crucifié. Sonorité royale et moyens victorieux pour Andrea Chénier à Munich. Applaudissements sans fin pour "E lucevan le stelle" dans Tosca à Vienne, concédant alors la rareté d’un bis. Wagner et son Lohengrin culminant dans son récit du Graal d'anthologie. Plus récemment, beaucoup sont encore sous le charme de ses premiers pas en Tristan.
Quatre bis et une ovation debout plus tard, c’est à regret que nous quittons le théâtre. Les rendez-vous avec le ténor sont de plus en plus rares à concrétiser.
Théâtre des Champs-Elysées, 20 septembre 2018
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