En attendant Andrea Chénier

Le lyrisme dans tous ses états
19 janvier 2015 : Un poète mort sur l’échafaud à 32 ans au milieu de la tourmente révolutionnaire, voilà un sujet qui se prête aux embrasements lyriques. Lorsque la musique d’un lyrisme sublime fait s’enflammer cet hymne à la fraternité, à l’amour et à la mort libératrice, son effet est garanti sur les âmes sensibles. Et lorsque l’épreuve du feu incombe à Jonas Kaufmann, rare ténor capable de ferveur électrisante et d’incarnation saisissante, l’intensité devrait être à son comble.

Du 20 janvier au 6 février, le Royal Opera House de Londres présente Andrea Chénier de Umberto Giordano. La nouvelle production est confiée à David McVicar, Antonio Pappano est dans la fosse et l’aristocrate Madeleine de Coigny est interprétée par Eva-Maria Westbroek.

Une page passionnée du vérisme
Le vérisme - de l’italien vero (vrai) – est un style musical apparu dans l’opéra du XIXe siècle. Livret réaliste et chant expressif, tel Cavalleria rusticana de Mascagni qui en fût l’acte de naissance en 1890. Ce courant est né du refus de l’académisme, langueurs wagnériennes et drames aristocratique verdiens, afin de plonger dans la réalité concrète de l’existence des hommes. Avec le vérisme disparaît le héros symbolique au profit de personnages communs dont le cri et le sanglot font partie de l’arsenal vocal.

"Appel des dernières victimes de la Terreur à la prison Saint Lazare
à Paris les 7-9 Thermidor an II."
de Charles-Louis Muller.
André Chénier est au centre de l’œuvre.
Un livret inspiré d’une histoire vraie
La personnalité et le destin tragique d'André Chénier étaient des éléments suffisamment intéressants pour que ce poète du 18ème siècle devînt un personnage d'opéra. Auteur favori de Marie-Antoinette, il fut aussi l’un des premiers partisans enthousiastes des idées de la Révolution. Puis, Chénier voulut dénoncer les excès de la Terreur, ayant été lui-même impitoyablement persécuté et finalement envoyé à la guillotine. Il est le héros idéal d’un vérisme soucieux d’authenticité.
L’ouvrage relate le destin du poète, sacrifié en pleine jeunesse sur l’autel des tragédies de l’Histoire. Mais l’intrigue n’oublie pas la dimension sentimentale chère à l’opéra romantique qui unira jusqu’à l’échafaud le destin du poète à celui de la belle aristocrate Madeleine de Coigny.

Andrea Chénier à l'Opéra de Paris en 2009 - © OnP
La musique de l’exaltation romantique et révolutionnaire
La musique de Giordano est ardente, en écho aux fureurs de la Révolution. Andrea Chénier est une fresque historique d’une justesse admirable au sein de laquelle le compositeur introduit des chants révolutionnaires classiques comme "Ça ira" et la Marseillaise. C’est aussi un drame humain d’une intensité bouleversante où deux amants sont pris dans les rouages de l’histoire et tentent de faire plier les forces du destin. Des arias et duos à couper le souffle prêtent une saveur unique à cet opéra.

Le vérisme jusque dans les racines de la création
Avant de connaître la consécration avec Andrea Chénier, Giordano connut des échecs. La légende rapporte que le musicien, désespéré, envisagea de se reconvertir en chef de musique militaire, voire en maître d’escrime. 
Pour ne pas être éloigné de son librettiste Luigi Illica (très occupé avec Verdi), Giordano vint s’installer à Milan et logea dans la remise d’un entrepreneur de pompes funèbres. La genèse de l’opéra n’est pas sans évoquer les effets les plus banals d’un opéra vériste. La misère et la solitude uniquement distraite par la présence de cercueils et de couronnes mortuaires constituent le lit de sa création. De quoi trouver les ressources pour émouvoir les cœurs les plus secs !

Andrea Chénier sauva peut-être une vie
En janvier 1896, sa partition achevée, la malédiction semblait encore planer sur Giordano. Le ténor se dérobe, ses partisans le lâchent trouvant l’œuvre non jouable et son éditeur Sonzogno envisage de déprogrammer l’opéra de La Scala. Dans des conditions à peine croyables, c’est finalement grâce à l’intervention de Mascagni lui-même, le plus célèbre compositeur des Editions Sonzogno depuis le succès de Cavalleria rusticana, que Giordano évita la musique militaire. 
S’étant rendu à Florence pour tenter une ultime démarche auprès de Mascagni, Giordano interpella celui-ci alors qu’il était debout sur un wagon fleuri lors de l’inauguration du premier tramway électrique. Mascagni descendit le saluer et dans la conversation qui s’ensuivit, il lui promit son soutien dans l’affaire d’Andrea Chénier. Le tramway était reparti sans le compositeur, les freins lâchèrent et un accident terrible eut lieu, provoquant la mort de nombreux passagers. Giordano avait "sauvé" Mascagni qui "sauva" Andréa Chénier en intervenant auprès de Sonzogno.


Andrea Chénier au Festival de Bregenz. 
© Bregenzer Festpiele/ Karl Forster
"De haut en bas, c’est un déversement de lyrisme"
Fulgurante éloge au soir du 28 mars 1896 lorsque l’opéra est créé à La Scala avec une distribution éblouissante. Au lever de rideau, tous ceux qui jouaient leur dernière carte avec cet opéra avaient de quoi être nerveux. 
Mais dès le premier air de Gérard "T’odio, casa dorata", les applaudissements commencèrent. L’air du ténor "Un di all’azzurro spazio" fut bissé. A mesure que la soirée s’avançait, l’enthousiasme montait. Une vingtaine de rappels saluèrent les artistes et le maestro. Les onze représentations qui suivirent furent accueillies avec le même enthousiasme puis ce fût le succès international. Andrea Chénier n'entrera qu'en 2009 au répertoire de l'Opéra de Paris.

Pendant des décennies, les plus grands chanteurs vont s’emparer de l’œuvre car, et c’est son seul "défaut", la partition exige pour le rôle-titre un interprète alliant lyrisme, puissance et endurance. Autant d’arguments pour suivre Jonas Kaufmann dans les couloirs de l’Histoire !


Sources Avant-scène Opéra


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire