Guillaume Tell de Rossini à Londres

Gerald Finley, poignant héros déraciné

© Royal Opera House / Clive Barda
10 juillet 2015 : Un enfant s’avance portant une jeune pousse d’arbre et la plante dans la terre jonchant le plateau de Covent Garden. L’arbre mort déraciné s’élève pour accueillir un nouveau cycle de vie. Image de la Suisse naturaliste qui fait des hommes proches de la nature et des vertus simples, attachés à la liberté et hostiles à la tyrannie. Un message humaniste et un moment d’émotion avant que le rideau tombe sur le final élégiaque où chœurs et interprètes se rejoignent dans une harmonie céleste.

Guillaume Tell, chef d’œuvre absolu de l’invention mélodique et rythmique de Rossini clôture la saison du Royal Opera House, après 25 ans d’absence sur cette scène. Grande ouverture, place essentielle donnée au chœur, montée en puissance du drame, l’ouvrage abonde de moments de bravoure nécessitant des voix d’envergure. 
Opéra fort, spectacle fort et réussi dans lequel Gerald Finley incarne un Guillaume Tell magistral, à la fois noble et bouleversant d’humanité. John Osborn affronte avec brio et courage les envolées stratosphériques d’Arnold et Malin Byström est une Mathilde intense. Dans la fosse, Antonio Pappano nous emporte avec passion tout au long des quatre heures de cette œuvre grandiose. Pas un seul temps mort, depuis le début jubilatoire au rythme du galop d’ouverture jusqu’au final au lyrisme puissant. 
Pour Damiano Michieletto, tous les livrets utilisés par Rossini nous parlent de la vie d’aujourd’hui et du monde actuel. Sa mise en scène parvient à créer l’ambiance humaine tangible permettant de faire vivre les personnages et les rendre crédibles et justes. (*)


Gerald Finley (Guilaume Tell) et Sofia Fomina (Jemmy)
Le tout dernier opéra de Rossini raconte l’histoire du valeureux Guillaume Tell qui unit les Suisses contre l’occupation autrichienne. La production de Michieletto délocalise l’intrigue dans un pays confronté à un conflit européen, telle la guerre des Balkans dans les années 90.
Un gros tronc d'arbre mort occupe toute la scène, symbole possible du déracinement politique, mais aussi l’arbre comme symbole de la vie en perpétuelle évolution. L’arbre aux racines torturées tourne sur lui-même et se déplace, laissant un espace pour chaque scène dans les magnifiques jeux de lumière d’Alessandro Carletti. 

Mathilde enlace le tronc en chantant "Sombre forêt". La princesse autrichienne est rejoint par Arnold, le fils de Melchtal, patriarche du village, pour un duo d’amour "Oui, vous l’arrachez à mon âme"; l’amour victorieux par-delà les différents politiques. Lors de la scène solennelle du serment, les hommes de Tell l’enjambent avant de se couvrir de terre et de sang pour conjurer le sort et libérer leur patrie. L'arbre s’efface en fond de plateau pour laisser la place à la fête qui célèbre les vainqueurs avec une scène de violence sexuelle fustigée par les critiques. (**)

Œuvre passionnante qui impressionna fortement les compositeurs les plus illustres lors de sa création en 1829. Ce soir, le charme opère de tous les côtés. 
L’orchestre d’abord, grâce à la direction précise et transportée d’Antonio Pappano. Une musique débordante d’énergie, corne d’abondance de beautés variées et totalement galvanisante pour les chœurs et les interprètes. Protagoniste du drame et de la renaissance d'un pays, le chœur exceptionnel et en grand nombre donne des frissons. Les interprètes relèvent le défi de cette partition superlative, tous investis musicalement et dramatiquement, d’une grande justesse de jeu démultipliant ainsi l’intensité du spectacle. 

Gerald Finley
Gerald Finley incarne avec gravité, noblesse et humanité ce héros légendaire, incarnation de la sagesse d'un homme en lutte pour la liberté de son pays. Artiste accompli au chant superbe, alliage de chaleur et de douceur, sombre et cuivré dans le grave. A chacune de ses apparitions, on est sous le charme du baryton-basse canadien qui possède l’art d’habiter le texte et la mélodie, nous laissant suspendus à ses lèvres. 
Une intense émotion surgit lors de la scène où Tell est contraint par Gesler de tirer sur une pomme placée sur la tête de son fils : "Sois immobile, et vers la terre", Finley bouleversant dans la douleur de père, culminant dans le cri "Jemmy, pense à ta mère!".

John Osborn
Spécialiste du répertoire rossinien, John Osborn campe un Arnold très crédible. Il maîtrise parfaitement toutes les difficultés du rôle, il est capable de soutenir les aigus vertigineux, sa ligne de chant est contrôlée et il a fait preuve de beaucoup d’endurance. 
Emouvant dans "Mon père, je ne te reverrai plus" et apothéose dans les cimes insensés de "Asile héréditaire" suivi de l’exaltation du désir de vengeance avec "Amis, secondez ma vengeance".

Malin Byström (Mathide) et Nicolas Courjal (Gesler)
Chant intense et performance incarnée de Malin Byström dans le rôle de la princesse autrichienne Mathilde. Sofia Fomina est un Jemmy juvénile et combatif. Enfin, la basse française Nicolas Courjal incarne un Gesler cynique et satanique avec beaucoup de talent.
Un très grand moment d’opéra, beaucoup d’émotion et une admiration sans bornes pour l’orchestre, le chef, les chœurs et les interprètes, tous d’un professionnalisme remarquable.



(**) Suite à la première, des critiques au vitriol autour de la production de Damiano Michieletto sont venues ternir les échos de ce spectacle ô combien fascinant. Motif de l’indignation : une scène dévoilant la nudité d’une femme et la suggestion de violences sexuelles. Les esprits se sont tellement échauffés que Kasper Holten, le directeur de l’institution lyrique, a publié un communiqué officiel pour présenter des excuses de la part du Royal Opera House et annoncer "de petits ajustements". Tout en expliquant que le metteur en scène avait souhaité rendre compte de la réalité vécue par les femmes suisses au contact des armées autrichiennes. L’opéra, comme l’art en général, ne doit-il pas saisir et traduire la réalité des comportements humains ? Le théâtre, miroir de l’âme humaine, est aussi un moyen de parler de ces côtés sombres de l’Histoire par le prisme de l’art.

Photos © Royal Opera House / Clive Barda


(*) : Entretien avec l'Opéra de Paris

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