Orphée et Eurydice de Gluck à Londres

Humain et mythique


27 septembre 2015 : "Eloignez-vous, ce lieu convient à ma douleur", la douce plainte d’Orphée nous accompagne longtemps après le spectacle. Tout le monde connaît son histoire qui incarne l’un des plus beaux mythes : celui de l’amour absolu, que même la mort ne peut détruire. Orphée et Eurydice est une œuvre sublime de Gluck et cette nouvelle production du Royal Opera House est un moment divin où la musique, le chant et la danse retrouvent l’art de la communion avec le public.
Orphée est ce musicien dont l’art atteint une telle perfection qu’il charme autant les hommes, les animaux que les dieux. Coïncidence troublante, celui qui parviendra à faire pleurer les pierres, fléchir les cœurs les plus endurcis et émouvoir les dieux, ce soir c'est Juan Diego Florez
Vocalement éblouissant, l’artiste dévoile des talents dramatiques que les facéties du bel canto ne lui avaient pas permis d’explorer. Plaisir du cœur car, en plus du galbe de la voix et de la caresse du timbre, le ténor est habité de l’émotion du désespoir. Virtuosité et musicalité confondantes, chair et humanité d’une voix qui se fait douleur, éveil à une nouvelle sensibilité pour ce premier rôle tragique et un tournant dans sa carrière. 


Orphée désespéré par la mort d’Eurydice le jour de leur union réussit à fléchir les dieux par ses pleurs et son chant. Il va la chercher jusqu'aux enfers et obtient la permission de la ramener sur terre à condition de ne pas la toucher, ne pas lui parler ni se retourner avant d’être revenu dans le monde des vivants. Mais il se retourne. Il perd définitivement son épouse et meurt. Il ne savait pas encore que Gluck allait préférer une fin heureuse dans laquelle l’Amour est touchée par le désespoir d’Orphée et redonne vie à Eurydice. 

La création viennoise en 1762 valut un succès assez réservé à cet ouvrage. Conformément aux habitudes de l’époque, Orphée était chanté par un castrat. Il fallut attendre quelques années supplémentaires, pour que l’œuvre commence à conquérir le monde. 
A Londres, le ROH présente la version de sa création parisienne où Orphée fut interprété par un ténor, plus de dix ans plus tard. Un Orphée français dont les aigus font peur aux ténors mais plus à Juan Diego Florez dont on admire la performance absolue, le moelleux, et l’expression irréprochable dans notre langue. Il est soutenu par la superbe musicalité des English Baroque Soloists et du Monteverdi Choir. Sous la baguette de John Eliot Gardiner, la beauté du son devient enchantement et les chœurs surprenants d’homogénéité et d’intensité. Lucy Crowe et sa sonorité chaude incarne Eurydice avec beaucoup de sensibilité. Vêtue d’un costume lamé or, Amanda Forsyth est un Amour effronté. 


John Fulljames et le chorégraphe Hofesh Schechter ont créé un effet très original et très habile en plaçant l'orchestre sur scène, séparant le monde des vivants de celui des morts. Parfois, le plateau de l'orchestre s’élève ou disparaît pour permettre le passage des danseurs et des chœurs. Le travail sur les lumières est magnifique. Halo de lumière dans le dépouillement scénique ou délicatesse d’une nuit éclairée d’étoiles, les effets visuels sont sublimes et enveloppent les artistes de grâce et de poésie. 

La présence de la danse marque fortement le spectacle, fusion de tradition classique et de modernité. Chorégraphie puissante, énergique, quasi convulsive des danseurs de la Hofesh Shechter Company, écho contemporain à la douleur éternelle. Danse des spectres interrompue par l’harmonie de la lyre d’Orphée ou danse des esprits bienheureux, tout est magnifiquement réalisé. 


Une production qui équilibre l’humain et le mythique dont on ressort porté par une certaine sérénité. Comme si cette musique était le plus beau symbole de cette éternité qui transcende et sublime la mort. On a l'impression que Gluck nous laisse toujours un espoir dans le plus grand des désespoirs, celui de la perte de l’être aimé. Même dans les moments les plus mélodramatiques, tel le début du premier acte, véritable messe de requiem ponctuée par les lamentos déchirants d'Orphée, la musique n'est jamais triste. Une musique obsédante de beauté qui parle fortement à l’âme de chacun. 

"Les harmonies vaporeuses, ces mélodies mélancoliques comme le bonheur, cette instrumentation douce et faible donnant si bien l'idée de la paix infinie !… Tout cela caresse et fascine. On se prend à détester les sensations grossières de la vie, à désirer de mourir pour entendre éternellement ce divin murmure." Cinquante ans après la création d’Orphée et Eurydice, Berlioz exalté découvrait les partitions de Gluck et se prenait de passion pour celui qui confirmera sa vocation pour la musique.

"J'ai perdu mon Eurydice" (ROH - Juan Diego Florez)




Images Bill Cooper /ROH

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