Juan Diego Florez dans La Favorite de Donizetti

Tremblement de terre avenue Montaigne !

20 décembre 2013 : Rarement le Théâtre des Champs Elysées n’aura tremblé d’une telle ovation à la fin d’un concert. Cette standing ovation nous la devons au ténor bel-cantiste inondé de superlatifs Juan Diego Florez. Sa voix inouïe et sa virtuosité donnent des frissons de plaisir au public qui salue la performance artistique quasi sportive. 
Ce 18 décembre, La Favorite de Donizetti s’installe à Paris pour une unique représentation de version de concert. Pour clore le programme 2013 des "Grandes Voix" en beauté, le fidèle invité de la série incarne Fernand, le jeune novice amoureux de la maîtresse "favorite" d’Alphonse XI, roi de Castille. Une intrigue qui se joue dans l’Espagne du XVIe siècle, au temps des luttes de pouvoir entre Eglise et Etat et de leurs tumultes illustrés de très belles pages lyriques.

Chaque intervention de Juan Diego Florez est un délice et une performance vocale bénie par ce timbre unique reconnaissable entre tous. Le ténor péruvien affiche l’éclat insolent de ses aigus dans une aisance déconcertante. Tel un ruban d’or, le superbe phrasé et la ligne musicale tendre et moelleuse nous transportent dans le ravissement extatique des cimes du bel canto. Ses possibilités paraissent sans limites et on en tremble pour lui par moment. Mais comment fait-il ? On a l’impression que Juan Diego Florez va puiser au fond de lui-même ces ressources intarissables qu’il souhaite faire partager à ce public déjà conquis par le silence qui précède l’exploit technique.

On en oublierait presque qu’on vient d’assister à une prise de rôle qui constitue un tournant dans la carrière du chanteur. "Le rôle de Fernand, dans La Favorite convient bien à ma voix d'aujourd'hui. Avec les années, elle prend un volume et des couleurs plus dramatiques. Je peux aborder, étape par étape, de nouveaux ouvrages et élargir mon spectre musical et théâtral" dit-il. On se prend à rêver d’une mise en scène qui lui donnerait "la possibilité de plonger plus avant dans la profondeur dramatique de la musique et de tisser des relations plus subtiles avec les autres personnages, tous attachants, tous passionnés et tous magnifiés par le génie de Donizetti". En attendant, on le retrouvera au Festival de Salzbourg 2014 dans cette Favorite en version concertante entouré d'un casting de choc : Elīna Garanca et Ludovic Tézier.

Aux quatre points cardinaux du drame de La Favorite, chaque personnage exprime les sentiments complexes qui le parcourent. Juan Diego Florez incarne Fernand, le novice qui va quitter le Monastère de Saint-Jacques de Compostelle. Il renonce à ses vœux car il nourrit des sentiments tendres pour une inconnue entrevue l’église. Moment de grâce de "Un ange, une femme inconnue" qui déclenche une première salve d’applaudissements. Puis viendra "Ange si pur" au dernier acte, tout en sensibilité raffinée. L’élégance vocale, le feu dramatique et les plus hauts sommets de la tessiture sont salués par un concert de "Bravi !" et "Viva !". A ce moment, on repense à la production La Favorite de février dernier dans ce même théâtre lyrique car on a l’impression d’assister à un autre opéra. Dans une scénographie dépouillée comme une forêt sans arbres, seul le valeureux Ludovic Tézier dans le rôle du roi de Castille nous avait touchés.

Leonor a les attraits de la mezzo-soprano Beatrice Uria-Monzon qui dispose des immenses moyens vocaux et de la puissance du timbre de bronze qui conviennent au rôle. Par moment, cette partition l’emporte peut-être à l’extrême de ses possibilités avec quelques aigus un peu âpres. Elle a néanmoins la noblesse et le charme hispanique de cette favorite dont Fernand demandera la main, ignorant tout du statut de la belle. Une fois le pot aux roses découvert, l’union scellée explosera et Ferdinand retournera au couvent pour méditer sur ce désastre dans le sublime aria "La maîtresse du roi ! …Ange si pur". Il sera rejoint par Leonor pleine de remords mais épuisée par le long chemin jusqu’au monastère. Tellement affaiblie qu’elle en meurt aux pieds de l’autel dans les bras de Fernand qui l’accable de reproches avant l’ultime réconciliation dans le magnifique duo "Va-t-en d’ici".

Dans le rôle d’Alphonse XI, Jean-François Lapointe prête sa voix somptueuse de baryton entraîné aux prouesses du bel canto. Il ne manque pas de panache et son timbre royal projette le désespoir du monarque blessé avec fougue et décibels. Même les rois sont dévastés par les conséquences de leurs actes. Son apparition dans l’air "Léonor, Viens !" à l’acte II nous fait découvrir sa voix envoûtante. Dans leurs face à face scéniques, le baryton et le ténor rivalisent de bravoure et de puissance que leur autorise la partition de Donizetti.

Nicolas Cavallier est Balthazar, le prieur du monastère en charge de l’âme de Fernand. Le baryton-basse s’impose comme un roc avec sa voix d’airain, son sens dramatique et sa grande intelligence musicale.

Cette très belle distribution est accompagnée par l'Orchestre et Chœur de l’Opéra de Monte Carlo sous la direction de Jacques Lacombe. En scrutant les regards des compagnons de route à la fin du concert, on constate qu’ils se soumettent avec fair-play au jeu cruel des comparaisons face au chanteur d’exception qu’est Juan Diego Florez. Mais le charme du ténor à la voix invincible ne peut que rallier les cœurs. D’autant que ce travailleur acharné a encore perfectionné sa diction du français, des progrès à faire rougir quelques artistes francophones. 

Lorsque Juan Diego Florez vient saluer, les applaudissements nourris font place à un véritable tremblement de terre interminable et sonore. Les spectateurs se projettent alors hors de leurs fauteuils, ce qui nous rappelle les bis de l’illustre aria aux 9 contre-ut de la Fille du Régiment, une exclusivité du ténor. Un drapeau péruvien se déploie du balcon et les artistes sont inondés de fleurs.
Devant ce triomphe, le ténor en oublie sa réserve habituelle et succombe à l’enthousiasme débridé. Alors que personne n’imagine une telle "folie" de sa part, il dénoue son nœud papillon et le jette à ses fans, telle une rock star !


"La maîtresse du roi ! …Ange si pur"
 Juan Diego Florez en récital à Baden Baden en 2008



La Favorite, Opéra de Gaetano Donizetti en quatre actes (1840). Livret d’Alphonse Royer et Gustave Vaëz, d’après Les Amours malheureuses ou le Comte de Comminges de Baculard d’Arnaud. Avec : Julia Novikova, soprano (Inès) Béatrice Uria-Monzon, mezzo-soprano (Léonor de Guzman) Juan Diego Flórez, ténor (Fernand) Alain Gabriel, ténor (Don Gaspar) Jean-François Lapointe, baryton (Alphonse XI) Nicolas Cavallier, baryton-basse (Balthazar). Et l'Orchestre et Chœur de l’Opéra de Monte Carlo sous la direction de Jacques Lacombe.
Version de concert en français du 18 décembre 2013

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