L’amour en cage
8 décembre 2013 : Les
Puritains, l’un des sommets du Bel Canto, reviennent à l’Opéra de
Paris. Le génie mélodique de Bellini
éclate dans cet ultime opéra composé peu de temps avant sa mort à l’âge de 34
ans. Ce bellinissime ouvrage n’avait pas été joué depuis son entrée au
répertoire parisien en 1987 à l’Opéra-Comique. En 2012, une version de concert
au Théâtre des Champs Elysées en 2012 avait permis de redécouvrir cette partition
truffée de difficultés techniques surmontées avec brio par Olga Peretyatko. Le livret
étant assez faible et improbable, Bellini exploite le romantisme de la situation
dans un florilège de mélodies somptueuses. Ces magnifiques pages furent écrites
sur mesure pour un quator de très grandes voix de l’époque. Les jeunes talents
qui l’abordent ne doivent pas être trop frileux.
Le drame se joue
dans le décor romanesque d’un château anglais du XVIIe siècle. Laurent Pelly appréhende l’espace
scénique à travers les mouvements d’une caméra imaginaire et le rideau s’ouvre
sur une structure métallique de château sur un plateau tournant, comme une
image filaire en 3D conçue avec un logiciel de CAO - Conception Assistée par
Ordinateur -. Le décor se réduit à cette immense cage "qui enferme le personnage dans un monde rigoureux et austère,
historique et irréel" dit-il. Il ajoute "les costumes sont travaillés sur des lignes d’époque mais complètement
épurées". Epure et transparence, un vrai coup de jeune dans la
déco !
Maria Agresta et Michele Pertusi |
L’action s’inspire d’une page de l’histoire de l’Angleterre du 17e siècle lors des affrontements entre les Puritains menés par Cromwell, et les Royalistes catholiques, partisans des Stuart. Une partition à quatre voix et deux clans
centrée sur Elvira, l’héroïne Puritaine romantique qui va sombrer dans la folie.
En cause, la trahison supposée du fiancé Royaliste Lord Arturo Talbot qui
s’enfuit avec une mystérieuse prisonnière royale quelques heures avant les
noces. Projetée dans un conflit politico-religieux, Elvira s’enferme dans son
château de dentelles métalliques, comme un oiseau blessé en cage. La jeune
fille fragile tombe en dépression et délire jusqu’à l’évanouissement dans ce castel
érigé sur le plateau qui tourne, qui tourne, qui tourne…
Mariusz Kwiecien, Maria Agresta et Michele Pertusi |
Condamné à mort par
les Puritains, Arturo reviendra auprès d’Elvira une fois sa mission accomplie. Il
devra son salut à la défaite des Stuart provoquant son amnistie prononcée par
Cromwell. Elvira surmonte sa dépression en moins d’une minute et Arturo échappe
à la mort dans la minute suivante. Les retrouvailles des amoureux nous
gratifient de sublimes arias, de touchantes effusions noyées dans un décor
minimaliste. On ne détesterait pas avoir un peu plus de minéraux ou végétaux
ornant la scène qui est totalement vide par moment.
Laurent Pelly
choisit les yeux d’Elvira pour nous raconter l’histoire dans "l’univers mental et rêveur du sujet
principal qui reste Elvira et sa couleur émotionnelle fantomatique et
translucide". Précédée d’une réputation flatteuse, Maria Agresta incarne l’héroïne
romanesque pour sa première apparition à Paris et c’est une jolie révélation. La
voix est ample, le timbre est somptueux et les suraigus sont chantés avec facilité. Elle enrichit
son chant de belles couleurs et seules quelques vocalises belcantistes manquent d'un
peu de souplesse.
Maria Agresta et Dmitri Korchak |
Dans le rôle d’Arturo, Dmitri Korchak possède l’endurance et les aigus de ce rôle
acrobatique mais une certaine tension est palpable dans ses premières notes. Il
aborde l’Everest de "A te o cara" un peu en force dans l’espace
surdimensionné de Bastille. Mais
l’aisance technique revient progressivement et le chant s’enrichit en même
temps que le décor se dépouille encore plus.
Mariusz Kwiecien campe un séduisant Riccardo, le Puritain à qui Elvira était
promise avant l’arrivée d’Arturo et qui n’est pas fâché du contentieux entre
les amoureux. J’ai un faible pour ce baryton polonais au jeu zélé et au timbre
viril et corsé empreint de séduction. Dans le rôle de Sir Giorgo
Valton, l’oncle d’Elvira, Michele Pertusi et son expérience du
répertoire belcantiste apporte style et élégance à son personnage.
Le chef italien Michele Mariotti fait ses débuts à l’Opéra de Paris. Très
attentif aux chanteurs, il conduit ces pages belliniennes avec précision et fluidité.
Il dirigera de nouveau Les Puritains
au Metropolitan Opera de New York en avril
prochain avec Olga Peretyatko, sa délicieuse épouse, en Elvira aux côtés de Mariusz
Kwiecien, Michele Pertusi et Lawrence Brownlee dans le rôle d’Arturo. Les
chœurs de Bastille sont absolument magnifiques dans chaque intervention. Leurs
silhouettes rigides se déplacent comme des pions sur un échiquier, ajoutant une
note humoristique inattendue.
Au final, ce spectacle se
laisse regarder avec beaucoup de plaisir. Les jeunes talents sont très
impliqués et touchants de sensibilité musicale. On passe surtout une excellente
soirée grâce à la musique sublime de Bellini.
Mise en scène et costumes de Laurent Pelly. Décors de Chantal Thomas. Lumières de Jean-Jacques Delmotte.
Représentation du 3 décembre 2013
Photos © Andrea Messana / Opéra National de Paris
Juan Diego Florez interprète "A te o cara" à l’Opéra de Bologne en 2009, aux côtés de Nino Machaidze. Le ténor péruvien était initialement pressenti pour interpréter Arturo à Bastille. Aigus lumineux, legato sublime et raffinement extrême, un pur enchantement.
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