Reprise enflammée
29 novembre 2013 : Après l’excitation de la
découverte de la nouvelle production de Il
Trovatore de Verdi au Bayerische Staatsoper de Munich en juin dernier, c’est
dans un quasi silence médiatique que quatre nouvelles représentations ont été
données en novembre. Pourtant, cette saison d’automne fût prise d’assaut par le
public éconduit lors du festival d’été. Aimantés en masse vers l’opéra bavarois,
les lyricomanes se réjouissaient de découvrir à leur tour Jonas Kaufmann incarnant
son premier Manrico.
La production confiée à Olivier Py exhale le souffle
verdien dans une noirceur à la fois diabolique et tragique. Le drame, le
théâtre et la musique fusionnent à chaque instant, sublimés par la scénographie
et les lumières de Pierre-André Weitz, le complice artistique. Le lyrique metteur
en scène adore le mélodrame et sa vision dantesque de l’œuvre est en totale cohérence
avec la substance sordide du livret. Le spectacle est porté par la conjonction
des talents de Jonas Kaufmann et Olivier Py dont la vitalité inspiratrice partagée
nous offre une de ces productions fascinantes que l’on n’oublie pas.
Krassimira Stoyanova (Leonora) et Jonas Kaufmann (Manrico) |
Avec son aisance affirmée depuis sa prise de rôle, Jonas
Kaufmann est bien l’interprète idéal de Manrico (je l’avais déjà encensé dans
mon article "Le feu sans artifice"). Le ténor apporte toute sa
sensibilité et sa gamme de nuances au personnage tiraillé entre ses sentiments pour l’élue
de son cœur et son amour filial. Comme toujours, les ondes électrisantes du
pianissimo alternent avec les prouesses vocales. Son engagement dramatique et l’expressivité
du visage donnent au texte toute sa puissance d’évocation. Krassimira
Stoyanova succède à Anja Harteros dans le rôle de Leonora. Sans avoir son aisance
scénique, elle n’en est pas moins une grande verdienne à la voix somptueuse.
Elena Manistina (Azucena) et Jonas Kaufmann (Manrico) |
L’œuvre
au noir de Verdi
Il
Trovatore est une œuvre totalement désespérée qui trouve sa
force dans la tragédie des vies brisées par les événements terribles du passé. C’est
peut-être l’œuvre la plus noire de Verdi bâtie sur le thème de la vengeance. La
narration nous entraîne dans les profondeurs obscures du ressentiment : Azucena,
la femme au passé détruit va réarmer sa vengeance dans le bras du fils. Mais le
moteur du châtiment réparateur conduira au désastre des vies de la deuxième
génération. La vendetta en ellipse tournera mal, chaque action provoquant des
conséquences inattendues jusqu'à la fin tragique et le sacrifice des innocents
puisque le fils Manrico et Leonora, la femme qu’il aime, y laisseront la vie.
Le spectateur peut aisément perdre son chemin dans cette
histoire alambiquée et terrifiante. Si la puissance dramatique de la musique de
Verdi peut éclairer sur les passions et déchirements qui animent les
protagonistes, elle est impuissante à décoder les indices du passé.
Dans cette
profusion de complications, la conception d’Olivier Py apparaît comme une
évidence. En parfaite adéquation à l’œuvre, le metteur en scène traduit les
ressorts du livret dans une représentation esthétique des réminiscences intriquées
dans les actions qui se déroulent au présent.
Des mécanismes toujours en mouvement illustrent le
destin en marche et l’emprise des cauchemars récurrents. Tels des fantômes, des
doubles des personnages rejouent les scènes traumatiques dans un effet théâtral
irréel. Le ballet de personnages s’anime dans la gamme chromatique qu’affectionne
Olivier Py, un noir intransigeant, envoûtant et chic. On reste fasciné par ce
bouillonnement théâtral où les scènes éloquentes se succèdent dans une grande virtuosité
technique.
L’audacieux Olivier Py imprime son empreinte dans ses
créations lyriques, ponctuant sa mise en scène de quelques éléments propres à
son univers : des femmes aux corps dénudés comme le fantôme de la mère d’Azucena
brûlée sur le bûcher, des gaillards virils aux torses nus agitant le drapeau de
l’insurrection, le thème de la mort véhiculé par un danseur en body noir préfigurant
l’empoisonnement sacrificiel fatal à Leonora.
Tout au long de cette trajectoire pleine de noirceur, toutes ces
images poétiques participent à la fascination de ce Trovatore, œuvre débordant de passion et d’héroïsme flamboyant. Verdi
a condensé dans cet opéra ses plus belles pages mélodiques, superbement écrites
pour de très grandes voix, à un niveau d’inspiration romantique rarement atteint.
Homme de théâtre, Olivier Py apporte un soin tout
particulier à la direction d’acteur. Il est en admiration devant l’engagement
physique du chanteur lyrique "qui doit utiliser tout son corps, sinon ça
ne produit rien" dit-il.
Il perçoit dans l’interprétation de Jonas Kaufman
cette intensité dramatique d’une voix unique qui l’émeut. "Il y a chez
Jonas Kaufmann quelque chose qui est unique dans l’histoire du lyrisme car il a
réussi à être crédible sur le répertoire allemand et sur le répertoire italien,
ce que jamais aucun ténor n’avait réussi. Quand je le vois, je vois l’Europe du
Nord et l’Europe latine réconciliées dans un visage et un corps. Jonas Kaufmann
a retrouvé toute l’italianité de Wagner et en même temps, il apporte toute sa
noirceur germanique au répertoire italien. Il a réussi à fusionner les
contraires, ce qui en fait le plus grand ténor de l’histoire de l’opéra".
"Ah! si, ben mio" ("Ô toi mon seul
espoir") - Manrico (acte III)
Jonas Kaufmann aux côtés de Anja Harteros (Leonora)
Il Trovatore - Opéra en 4 actes de Giuseppe Verdi
Chœur
et Orchestre du Bayerisce Staatsoper - Direction musicale Paolo Carignani –
Mise en scène d’Olivier Py - Décors et costumes de Pierre-André Weitz
Avec Jonas
Kaufmann (Manrico), Krassimira Stoyanova (Leonora), Vitaliy Bilyy (Comte de la Luna), Elena Manistina (Azucena), Goran Juric (Ferrando), Maria Celeng (Ines), Dean Power (Ruiz)
Représentation du 20 novembre 2013
Photos © Wilfried Hösl – Bayerische Staatsoper
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