Aïda de Verdi à l’Opéra de Paris

Céleste et universelle
Marcelo Alvarez (Radames) & Roberto Scandiuzzi (Ramfis)

17 novembre 2013 : Aïda de Verdi, l’opéra égyptien chéri des théâtres antiques revient à l’Opéra de Paris après quarante cinq ans d’absence. On était impatient de découvrir la vision du metteur en scène et poète Olivier Py car tous les espoirs de "peau neuve" étaient permis. Dès le début, on est séduit et captivé par son interprétation de l’œuvre car cette nouvelle production apporte un nouvel éclairage. Visuellement et musicalement magistrale, cette Aïda réapparaît dans toute sa splendeur, notamment dans les passages intimistes, comme revigorée par la lecture du créatif.

Olivier Py
© Corinne Bellaiche
Pour Olivier Py, chaque œuvre invente un théâtre. En analysant le livret, il conclut que l’Egyptologie peut être évincée sans dénaturer les intentions de Verdi. Tout en respectant l’esprit guerrier et politique de l’œuvre, le metteur en scène opère une percutante transposition du contexte historique. L’Egypte est devenue l’Autriche-Hongrie et l’Ethiopie l’Italie. Il y ajoute des ingrédients contemporains car le poids du pouvoir politique et l’extrémisme religieux sont universels et de toutes les époques. Et tout cela fonctionne merveilleusement bien. Les spectateurs sont totalement immergés dans la narration de l’histoire et dans la beauté des décors.
Musicalement, on est aux anges avec l’esprit de Verdi bien représenté. Sa force dramatique et sa puissance musicale sont magnifiquement restituées par le chef Philippe Jordan, les voix du chœur d’un grand raffinement et les solistes d’un très bon niveau.

Image saisissante de la ballerine au-dessus du charnier
Ce spectacle d’une grande beauté plastique foisonne d’idées saisissantes. On a toutefois entendu quelques huées lancées par des traditionalistes choqués par les inventions scéniques d’Olivier Py ou par l’absence d’Egypte.
La scénographie de l’espace et des lumières est magnifique. Les décors somptueux tout en métal plaqué or de Pierre-André Weitz permettent une mise en scène audacieuse. La superposition des plans crée un espace monumental et étincelant dont les mouvements s’harmonisent avec le lyrisme musical.

En assistant à ce spectacle, on réalise également l’énorme malentendu concernant Aïda. On a depuis longtemps catalogué cet opéra comme un péplum apparemment grandiose et populaire destiné à de grands espaces permettant d’accueillir les armées égyptiennes, le cortège des esclaves éthiopiens et le défilé des animaux d’Afrique. D'année en année, on assiste à des représentations de plus en plus spectaculaires mais souvent défigurées. Cette conception d’Olivier Py permet de redécouvrir que Aïda est un des opéras les plus intimistes de Verdi. Les épisodes grandioses s’entremêlent avec virtuosité aux nombreux moments d’introspection touchante des protagonistes. 

Philippe Jordan, directeur musical
 et grand triomphateur de la soirée
Philippe Jordan nous offre une direction musicale tout en finesse et noblesse dramatique, devenant aérienne et poétique lors des arias et duos. Les chœurs sont sublimes qu’ils soient en lointains murmures ou en ensemble tonitruant.

Oksana Dyka est une Aïda convaincante, peut-être encore un peu jeune sans beaucoup de chair et de nuances. Son aisance est palpable mais les aigus manquent de moelleux. Marcelo Alvarez est un magnifique Radames plein d’ardeur. Il n’est pas habité par le désir mystique de disparaître dans le rôle mais son timbre et ses nuances font merveille. Avec sa dimension vocale Luciana d’Intino s’installe dans le rôle d’Amneris avec beaucoup de conviction et de talent.

Quand Verdi compose Aïda en 1870, il honore un contrat avec le pacha d’Egypte de l’époque pour célébrer l’inauguration du Canal de Suez. Le spectacle devait être conforme à ce que l’on savait de l’Egypte ancienne. Mais il ne se déplaça pas pour la première au Caire en décembre 1871 car il n’eut pas la distribution qu’il souhaitait. Ce fût pourtant un énorme triomphe suivi par celui obtenu à la Scala de Milan deux mois plus tard. Aïda devint alors un des opéras les plus populaires de Verdi.


Aïda - Opéra en quatre actes de Verdi, livret d’Antonio Ghislanzoni - Mise en scène d’Olivier Py - Décors et costumes de Pierre-André Weitz – Lumières de Bertrand Killy
Oksana Dyka (Aida), Marcelo Alvarez (Radames), Luciana D’Intino (Amneris), Sergey Murzaev (Amonasro), Roberto Scandiuzzi (Ramfis), Carlo Cigni (Il Rè), Elodie Hache (Sacerdotessa) - Chœur de l’Opéra national de Paris - Direction : Patrick-Marie Aubert
Orchestre de l’Opéra national de Paris - Direction musicale Philippe Jordan
Opéra Bastille, 14 novembre 2013
Photos Opéra national de Paris ©Elisa Haberer


1 commentaire:

  1. Votre blog est épatant et vos analyses toujours hautement pertinentes.

    Toutefois, ayant assisté à la représentation (12 novembre), je me permets quelques commentaires.
    La mise en scène en 2D (pratiquement tout se déroule sur un plan vertical, comme cet ancien jeu télévisé "L'Académie des Neuf") est assez rigolote mais prive tout l'opéra de profondeur et d'ampleur.
    Comme vous l'avez judicieusement noté, ça permet au moins de rendre à une grande partie de l'opéra l'intimité qu'on avait perdue avec les courses de char et les défilés d'esclaves.
    Mais globalement, je trouve que ça dessert l'ensemble et le prive du souffle qui anime nécessairement tout grand opéra (j'étais accompagné par une personne plutôt novice : j'ai bien vu qu'elle s'enquiquinait beaucoup ; c'est un signe).
    Après avoir vu plusieurs mises en scène de Py, j'en arrive d'ailleurs à me demander si son indéniable originalité pleine de trouvailles n'est pas un peu superficielle et pas toujours au service de l'œuvre (cette position scandaleuse mérite débat, je le reconnais).

    Par ailleurs, je n'ai pas aimé mon Aida (le 12 novembre : Lucrecia Garcia).
    Je ne parle pas de son physique un peu étrange (un petit pot à tabac hyper nourri pour une esclave), mais bien de son jeu.
    Une belle voix certes, mais vraiment trop appuyée dans les effets. C'était presque crié par moments. J'ai pas du tout aimé.

    Sur le reste, vous avez raison, comme toujours.

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