Ciofi,
sublime Amenaide
Patrizia Ciofi & Marie-Nicole Lemieux, © Vincent Pontet Wikispectacle |
Patrizia Ciofi
domine cette distribution et nous offre l’une de ses plus incandescentes compositions.
Son Amenaide déchirée est une merveille de virtuosité, d’engagement scénique et
d’émotion.
Pour sa prise de rôle, Marie
Nicole Lemieux réussit son incursion dans le genre seria et incarne un Tancrede
éprouvé par le destin, à la fois jeune et touchant. Les accords de voix dont le
compositeur joue à merveille sont sublimés par ces deux artistes. La direction
de Enrique Menzola est superbe de
finesse nous révélant pleinement cette écriture orchestrale si réjouissante. La
mise en scène sobre et froide est à l’opposé des couleurs rossiniennes.
Cet opéra
contribua à la reconnaissance mondiale du jeune Rossini de 21 ans. En 1813,
Tancredi est une révolution dans le genre opera seria. Le compositeur a déjà
écrit neuf opéras bouffes et il va apporter au genre la vivacité qui le
caractérise et soigner de courts récitatifs pour éloigner l’ennui. Il donne ainsi
vie à des mélodies simples qui emportent tout et surtout l’adhésion du public.
De g. à dr.: Josè Maria Lo Monaco, Sarah Tynan, Marie-Nicole Lemieux, Patrizia Ciofi, Christian Helmer, Antonino Siragusa © Vincent Pontet Wikispectacle |
Nous
sommes à Syracuse, an 1005, pendant l'invasion des Sarrasins. Une guerre civile
déchire la cité mais Argirio et Orbazzano, deux nobles syracusains mettent fin
à leurs querelles. Pour souder cette alliance, Argirio promet sa fille Amenaide
en mariage à Orbazzano qui se prépare au combat contre les Sarrasins menés par
Solamir. Amenaide est amoureuse de Tancrède qui a été banni de la ville, elle
lui envoie une lettre qu'il n'aura jamais. La missive est interceptée par les
Sarrasins qui la croient adressée à leur chef Solamir. Orbazzano en révèle le
contenu et Amenaide est condamnée à mort pour intelligence avec l’ennemi. Pour
protéger Tancrede, elle se refuse à en révéler le véritable destinataire. Se
croyant trahi par sa bien-aimé, Tancrède retourne au combat où il sera
mortellement blessé. La vérité sur la lettre éclate mais trop tard, le héros
agonisant pardonne à la jeune fille avant de mourir dans ses bras.
© Vincent Pontet Wikispectacle |
Dans ce
labyrinthe des sentiments, Patrizia
Ciofi est prodigieuse et bouleversante à chaque intervention. Il est
assez rare de voir un tel engagement scénique. Dès son entrée, la soprano nous
capture dans son monde intérieur et son chant nous fait frissonner de bonheur
et d’émotion. On la sent en parfaite osmose avec cette partition et elle ose
tout avec brio, aigus et suraigus en chaîne. La scène de la prison est
littéralement inouïe. Le regard noir désenchanté et en proie au déchirement de
son amour perdu, on découvre toute la souffrance d’Aménaide qui préfère mourir
que de révéler son amour pour Tancrède. Patrizia Ciofi donne consistance à ce
personnage qui trouve le courage de se sacrifier et en exprime toute la
sensibilité. Seule et au désespoir au second acte, baignée dans cette musique
très inspirée, la cantatrice nous offre une de ses plus impressionnantes
prestations. Elle est vraiment l’une des sopranos les plus accomplies de sa
génération et une vibrante ovation saluera sa performance.
© Vincent Pontet Wikispectacle |
© Vincent Pontet Wikispectacle |
Antonino Siragusa incarne
Argirio, cette figure paternelle aux hésitations poignantes, avec beaucoup de
conviction et une technique solide. Le personnage cruel d’Orbazzano est incarné
par Christian Helmer d’une voix
superbe. L'Isaura de José Maria Lo
Monaco et le Roggiero de Sarah Tynan
sont très convaincants.
Jacques Osinski dit avoir voulu se pencher sur la dimension politique du
livret "pour éviter de se laisser
uniquement emporter par la puissance de la musique en oubliant les enjeux
scéniques qui sont très forts" dit-il. Ainsi, il transpose l’ouvrage
à la période contemporaine : séance de vote (clin d’œil à
l’actualité ?) dans une salle de d’ambassade, chaises pliantes et bureau
d’acajou imposant, élite diplomatique en costumes cravates, gerbes de fleurs de
remise de décorations, parloir de prison actuel. Ce changement d’époque
affaiblit l’ouvrage tout en banalisant les personnages. Point de panache, mais du
concret politique, un univers froid et dur où les sentiments n’ont pas droit de
cité. On chemine dans des pièces de plus en plus petites comme pour progresser
dans l’intériorité des personnages.
Cette lecture sobre et épurée se termine
sur la vision d’une paillasse de soldat cernée d’un halo de lumière, le lit
de mort de Tancrede. Il est difficile de se projeter dans cette histoire d’amour
impossible, d’honneur et de vengeance en l’an 1005. Au final, notre attention
se concentre sur la beauté des voix et sur la générosité du jeu de scène des
interprètes. A eux seuls, ils réussissent à créer une tension dramatique et leurs
performances sont encore plus remarquables dans cette désertification scénique.
Les voix emportent tout mais on aurait aimé une transcription théâtrale plus éloquente de ces
affects humains soulignés par l'éclat des ornementations de Rossini. Il est
d’ailleurs surprenant que le metteur en scène n’ait pu mieux traduire scéniquement
la richesse de son analyse de l’oeuvre explicitée dans le programme. Cette vision s’avérait
pleine de promesses.
© Vincent Pontet Wikispectacle |
A la tête
de l’Orchestre Philarmonique de Radio France, le chef Enrique Menzola voue manifestement un
véritable culte à Rossini. Il réussit une balance parfaite entre les voix et la
fosse d’orchestre, exhalant toute la légèreté de la construction rossinienne. Des
duos de voix féminines aux chœurs d’hommes somptueux, le support de l’orchestre
souligne les accents mis sur les sentiments et les rebondissements dramatiques.
Il invite ainsi les interprètes à trouver la meilleure phrase musicale ou la justesse d'une
expression particulière, tout simplement le meilleur d’eux-mêmes !
Tancredi de
Gioachino Rossini
Livret de
Gaetano Rossi, d’après la tragédie éponyme de Voltaire.
Avec Marie-Nicole
Lemieux (Tancredi), Patrizia Ciofi (Amenaide), Antonino Siragusa (Argirio), Christian
Helmer (Orbazzano), Josè Maria Lo Monaco (Isaura), Sarah Tynan (Roggiero).
Chœur du
Théâtre des Champs-Elysées, Alexandre
Piquion, Chef de chœur
Orchestre
Philharmonique de Radio-France. Enrique Mazzola, direction musicale.
Mise en
scène de Jacques Osinksi. Décors et costumes de Jacques Ouvrard. Lumières de Catherine
Verheyde
Théâtre
des Champs-Elysées, 19 mai 2014
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