Hymne à
la joie
Joyce DiDonato, irrésistible Cenerentola © Ken Koward / Metropolitan Opera |
14 mai
2014: La saison des retransmissions 2013-14 du Metropolitan Opera de New York
s’est terminée sur La Cenerentola de Gioacchino
Rossini inspirée du célèbre conte de fées. Rien n’est plus jubilatoire que
Rossini au paroxysme de son inspiration dans un irrésistible tourbillon
rythmique.
Une soirée illuminée par deux icônes actuelles du bel canto: Joyce DiDonato et Juan Diego Flórez. Et le Met ne pouvait pas trouver mieux comme
partenaires: Alessandro Corbelli, Luca Pisaroni et Pietro Spagnoli. Rossini
a le don de faire naître l’humour de sa musique et on perçoit que les chanteurs prennent beaucoup de plaisir dans cette mise en scène qui pétille. Efficacité mécanique, gaîté
communicative et ivresse du chant.
Composée en
trois semaines par un jeune Rossini de 25 ans, La Cenerentola brille par ses exquises ornementations, expression
musicale d’une joie quasi incontrôlable. Mais c’est aussi un chef d’œuvre de
grande originalité reposant sur un savant mélange de comédie, romantisme et
bons sentiments. Longtemps éclipsé au profit du Barbier de Séville composé un an avant, cet ouvrage s’est finalement imposé comme une des
plus belles partitions du compositeur.
Luca Pisaroni (Alidoro) et Joyce DiDonato |
L’adaptation
lyrique de la Cendrillon de Perrault par le librettiste Feretti prend un peu de
distance avec le merveilleux trop irrationnel du conte. Il donne même un élan
moral à l’ouvrage sous-titré "Le
triomphe de la bonté". Ce n’est pas une fée mais Alidoro, un faux
mendiant qui remarque la bonté d’Angelina et donne un coup de pouce à son
destin. Point de belle-mère acariâtre mais un odieux beau-père. Un bracelet
remplace la pantoufle de vair car il était inconvenant de montrer une femme
nu-pieds sur scène au XIXe siècle.
Pour
cette reprise de La Cenerentola, le
Met a fait revivre la mise en scène de Cesare
Lievi créée en 1997, un mélange d’un délicat surréalisme monochrome bleuté associé
à un esthétisme théâtral moderne et glamour. Les courtisans du Prince ont le visage
plâtré et portent des chapeaux melons noirs évoquant Magritte.
On savoure les
effets de magie technique : les murs s’ouvrent sur un âne volant dans le
ciel (le rêve de Don Magnifico) ; lorsque Alidoro invite Angelina au bal,
une énorme commode cachant une robe de princesse arrive d’en haut par un crochet de grue géant. Pour la scène finale, les époux chantent sur un gigantesque
gâteau de mariage. Tout le monde connaît ce conte : Cendrillon vit avec
ses deux sœurs qui rivalisent de coquetterie et son beau-père qui la
maltraitent. Tout en s’employant aux tâches ménagères, elle rêve de son prince
charmant. Elle ne se doute pas que ce valet, dont elle est tombée sous le
charme, n’est autre que le prince lui-même, déguisé́. Après un enchainement de
quiproquos, les amoureux pourront enfin se retrouver.
Les plus
beaux moments de cet opéra sont ceux où domine le trouble amoureux ou la
sidération des personnages totalement déroutés, situation exploitée dans le
délire d’une scène burlesque. Tel le long et somptueux sextuor après que Ramiro
ait identifié la mystérieuse inconnue, une pure jubilation musicale avec son
crescendo d’excitation comique qui nous rive sur notre fauteuil. Ou encore, le "nodo avviluppato" qui permet aux chanteurs de jouer sur des
sonorités enfantines répétitives traduisant leur incompréhension de la
situation.
Une fois de plus, la partition rossinienne est extrêmement acrobatique pour les
voix. Le rôle-titre est interprété par la mezzo-soprano Joyce DiDonato, une des rares artistes à soutenir d’aussi longues
et brillantes vocalises. La musicalité raffinée de la cantatrice se conjugue
avec sa capacité à émouvoir le public par la chaleur de sa voix. Elle chante ce
rôle depuis près de trente ans et les spectateurs découvrent sa Cendrillon généreuse
et joyeuse, qui s’épanouit au fil des actes. Une profonde sensibilité émane de
la chanteuse, notamment dans la chanson nostalgique "Una volta c’era non de Re".
Son éblouissant final "Nacqui all'affanno" est un festival
d’ornementations et de finesse.
Il y a
bien quinze ans que Juan Diego Flórez
s’est produit dans le rôle de Ramiro pour la première fois. Les phrases aiguës
de l’air du prince qui culminent à plusieurs reprises dans un contre-ut ne
l’effraient pas. Le chanteur a conquis avec élégance et évidence les pages les
plus stratosphériques du répertoire. Le clou de la soirée est toujours la cabalette "Si Ritrovarla, Io giuro" entonnée avec brio et passion par le
ténor.
Alessandro Corbelli entouré de Rachelle Durkin et Patricia Risley |
Cette soirée fait la part belle à un plateau de chanteurs rôdés aux partitions
du Maestro : l’infatigable baryton rossinien qui se produit depuis de
nombreuses années Alessandro Corbelli est un Don Magnifico idéal. Le baryton
italien Pietro Spagnoli faisait ses débuts au Met en pleine santé vocale. Le
chanteur a pu déployer ses talents comiques dans le rôle de Dandini, le valet
de chambre du prince. Enfin, le baryton-basse Luca Pisaroni signe un portrait
élégant d’Alidoro, cette figure angélique qui favorise la romance du prince et
de Cendrillon. Spécialiste de Mozart, chaque phrase est délicatement chantée et
le charme opère.
Pietro Spagnoli et Juan Diego Florez |
Rachelle Durkin et Patricia Risley campent les deux sœurs hystériques
et elles s’amusent manifestement à forcer le trait de leurs minauderies.
Le Chef principal du Met Fabio Luisi dirigeait Rossini pour la première fois de sa carrière et on imagine qu’il a dû longuement échanger avec tous ces experts du bel canto. Sa grande attention aux interventions des chanteurs en témoigne. Ses emballements dans l’allégresse du tempo rossinien étaient hautement maîtrisés.
Le Chef principal du Met Fabio Luisi dirigeait Rossini pour la première fois de sa carrière et on imagine qu’il a dû longuement échanger avec tous ces experts du bel canto. Sa grande attention aux interventions des chanteurs en témoigne. Ses emballements dans l’allégresse du tempo rossinien étaient hautement maîtrisés.
Lors de l’ovation qui lui fût réservée pour sa sublime prestation, Joyce
DiDonato n’a pu réprimer quelques larmes. Car cette ultime représentation était aussi ses adieux au
rôle d’Angelina. Elle chanta ce rôle pour la première fois au festival de Stern
Grove de San Francisco à l’âge de 17 ans. Elle n’imaginait pas alors le chanter
sur toutes les plus grandes scènes lyriques jusqu’à ce salut final à New York,
mais pour la première fois au Met !
Joyce
DiDonato et Juan Diego Flórez interprètent ensemble La Cenerentola depuis plus de 10 ans, installant cette alchimie
musicale et de belles ondes de plaisir partagées. On sait déjà que nous
retrouverons ces deux étoiles du bel canto dans La Donna del Lago de Rossini au Met en mars prochain. Une nouvelle
occasion d’étourdir les spectateurs.
Cabalette "Si Ritrovarla, Io giuro"
par Juan Diego Flórez (Bis du 6 mai 2014)
La
Cenerentola, ossia la bonta in trionfo (Cendrillon, ou le triomphe de la bonté)
Opéra
(dramma giacoso) en deux actes de Gioachino Rossini sur un livret de Jacopo Ferretti
Joyce DiDonato (Angelina), Juan Diego Flórez (Prince Ramiro), Pietro Spagnoli (Dandini), Alessandro Corbelli (Don Magnifico), Rachelle Durkin (Clorinda), Patricia Risley (Tisbe), Luca Pisaroni (Alidoro).
Joyce DiDonato (Angelina), Juan Diego Flórez (Prince Ramiro), Pietro Spagnoli (Dandini), Alessandro Corbelli (Don Magnifico), Rachelle Durkin (Clorinda), Patricia Risley (Tisbe), Luca Pisaroni (Alidoro).
Direction
musicale de Fabio Luisi - Mise en scène de Cesare Lievi
Metropolitan
Opera le 10 mai 2014
Photos Ken Howard / Metropolitan Opera
Photos Ken Howard / Metropolitan Opera
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