Faust de Gounod à l'Opéra de Paris

Faust et usage de Faust


Faust ©Vincent Pontet /Opéra de Paris 2015
8 mars 2015 : Faust, l’homme revenu de tout et à la recherche de sensations nouvelles, revient à l’Opéra de Paris. 
Le rideau s’ouvre sur la 2663e représentation parisienne de l’ouvrage emblématique de Charles Gounod, l’opéra français par excellence, le plus joué et le plus transformé. Et parfois le plus éparpillé, comme la vision de Jean-Louis Martinoty en 2011, monumentale et fourmillante de détails distrayants qui recueillit quelques ironies médiatiques.
Jean-Romain Vesperini en conserve les odeurs de bibliothèque, de bar-cabaret, d’arbre et la proximité de l’au-delà avec un cercueil qui s’enflamme. Il propose une relecture du mythe entre réalisme et fantastique, comme si l’opéra était la dernière hallucination de Faust sous l’effet d’une substance. Les lumières de François Thouret créent une atmosphère à la fois sombre et onirique non dénuée de charme envoûtant. 
Mais ce qui rend ce spectacle somptueux, ce sont les voix. Piotr Beczala, Krassimira Stoyanova et Ildar Abdrazakov parent de brillance et d’irisation les mélodies du compositeur et les chœurs de l’Opéra de Paris donnent des frissons. Dans la fosse, Michel Plasson et son infatigable énergie à sublimer le répertoire français force l’admiration. Cette façon de façonner la force expressive de l’orchestre avec sensibilité et intelligence est un bonheur renouvelé.



Krassimira Stoyanova, Ildar Abdrazakov et Piotr Beczala
La mise en scène cherche à créer "une ambiguïté, une étrangeté dans ce qui se déroule sur scène". Toutefois, sa conception assure la lisibilité de l’intrigue : Faust, vieux savant tiraillé par l'angoisse du chaos existentiel, fait un pacte avec le diable qui lui offre la jeunesse en échange de sa damnation dans l’au-delà. Il s'éprend de Marguerite, qu'il séduit et abandonne, avant qu'elle ne perde la raison, la pureté de son âme lui ouvre alors les portes du paradis, "Christ est ressuscité !". 

L’opéra pourrait bien être l’illustration d’un rêve éveillé dans lequel Faust se retrouve confronté à son ombre sous les traits de Méphistophélès. Selon Vesperini, le savant est resté trop longtemps enfermé dans sa bibliothèque au mépris de la sensualité et la vision de Marguerite vient le chambouler. Tout ne serait qu’hallucination avec l’émergence de pulsions enfouies et de forces destructrices à l’œuvre autant dans le monde qu’à l’intérieur de son être. C’est aussi le récit d’une humanité qui cherche à comprendre le monde dans lequel il vit.

L’idée de l’ultime hallucination de Faust avait déjà guidé Des McAnuff dans la production atomique 2010 du Metropolitan Opera avec Jonas Kaufmann et René Pape. L’ouvrage était aussi transposé dans l’entre-deux-guerres, mais dans le laboratoire de Faust où le chœur de scientifiques travaillait sur la bombe H. 
A Paris, ce dernier voyage imaginaire évolue dans l’univers réaliste des années 30, l’époque de la crise économique et de la montée du fanatisme. Le monde tente de se distraire dans l’insouciance de la liberté retrouvée, loin d’imaginer ce qui l’attend. Une reconstitution pittoresque et sépia avec ses costumes vintage et ses soirées Maxim’s. Et des accessoires esthétiquement modestes : un bureau, un bar-cabaret, un jardin, une grille d’église et une prison sans barreaux. Des décors de 2011 ne subsiste que l’énorme bibliothèque omniprésente du Dr Faust qui s’ouvre et se ferme pour offrir différents espaces de respiration à l’intrigue. La direction d’acteurs pêche un peu, affaiblissant l’impact théâtral, notamment lors des mouvements de foule.


Ce qui fait la force de la soirée, c’est le plateau vocal de haut niveau avec des timbres qui se marient parfaitement et des chœurs sublimes. Le ténor polonais Piotr Beczala est un Faust charmeur et touchant dans l’ambiguïté du personnage, notamment dans l’illustre "Salut demeure chaste et pure". Une sorte d’antihéros insatisfait à la fois tourmenté et humain qui s’avère très actuel. Dans la galaxie des ténors, c’est l’une des plus belles voix actuelles. La technique est irréprochable, la voix est éclatante, la force et la facilité des aigus n’empêchent pas les nuances et le phrasé de la langue française est admirable. On le retrouvera avec plaisir dans le Werther de la prochaine saison.



Dans le rôle de Marguerite, Krassimira Stoyanova est toute de délicatesse. La voix a des moyens considérables, puissante, lumineuse et charnue, la ligne de chant est admirable. La soprano bulgare empoigne les aigus meurtriers tout en allégeant son chant de demi-teintes qui donnent le frisson. Elle s’impose avec sensibilité dans ce rôle qui apporte au drame faustien la dimension émotionnelle. Les duos avec Piotr Beczala sont de beaux moments de lyrisme et de poésie (malgré la faute de goût de la jupe et du top potiron-pétrole de Marguerite !).

Pour ses premier pas à l’Opéra de Paris, le charismatique Ildar Abdrazakov est confondant d’aisance. Une voix de basse puissante et belle, à la fois racée et raffinée. Il se déplace avec une élégance naturelle et son jeu scénique est inspiré. Les yeux rieurs, son Méphistophélès n’est pas diabolique, plutôt espiègle, se moquant de l’enthousiasme sentimental de Faust. Un chant viril, une présence incontestable et un style qui séduit immédiatement. 

Dans le rôle de Valentin, l’investissement scénique et la diction du baryton français Jean-François Lapointe sont très appréciés du public et il remporte un beau succès avec le toujours émouvant "Avant de quitter ces lieux". Le Siebel d’Anaïk Morel et la Dame Marthe de Doris Lamprecht sont aussi très convaincants.

Avec Michel Plasson à la baguette, la musique de Gounod est une malle aux trésors avec ses mélodies éblouissantes qui restent dans nos têtes bien après le spectacle. C’est aussi une musique d’une constante richesse expressive, faite de caresses mélodieuses pour les duos entre Faust et Marguerite et d’éclats vibrants pour les chœurs. Ce n’est pas pour rien que Faust est, avec Carmen, l’opéra français le plus joué au monde.



Photos ©Vincent Pontet /Opéra de Paris 2015

Faust
Opéra en cinq actes de Charles Gounod - Livret de Jules Barbier et Michel Carré
Piotr Beczala (Faust), Krassimira Stoyanova (Marguerite), Ildar Abdrazakov (Méphistophélès), Jean-François Lapointe (Valentin), Anaïk Morel (Siebel), Doris Lamprecht (Dame Marthe) Damien Pass (Wagner)
Michel Plasson, Direction musicale - Jean-Romain Vesperini, Mise en scène - Johan Engels, Décors - Cédric Tirado, Costumes - François Thouret, Lumières - Selin Dündar, Chorégraphie - José Luis Basso, Chef des Choeurs
Opéra Bastille, le 2 mars 2015





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