Les Troyens de Berlioz à Bastille

© Vincent Pontet / OnP
Tragédie lyrique et grand opéra français

27 janvier 2019 : Pour les 150 ans de la mort de Berlioz, l’attente de cette nouvelle production des Troyens était grande. Epopée lyrique en 5 actes composée par un génie de l’orchestration, la composition et le souffle méritaient le frisson des grands jours. 
Si le plateau de très belles voix vaut le déplacement, la mise en scène fait retomber l’enthousiasme car la proposition dramaturgique de Dmitri Tcherniakov se montre bien inégale et insolite. La première partie de l’ouvrage, La prise de Troie, s’avère forte et plutôt réussie mais la seconde, Les Troyens à Carthage, nous laisse attristé car dépossédé de nos émotions. 
Repenser, régénérer, actualiser, tel est le credo des metteurs en scène qui n’ont que faire de nos émotions et dont on connaît à l’avance les diktats théâtraux. Ne dit-on pas désormais Les Troyens de Tcherniakov (le compositeur ayant disparu, il n’a plus la voix au chapitre). Mission accomplie par celui qui "ne veux pas créer quelque chose qui soit trop facile à comprendre". Chanteurs et choristes sont encensés de généreux applaudissements alors que les idées novatrices peinent à convaincre et sont accueillies par des huées. De quoi méditer la pensée de Berlioz : "Il faut collectionner les pierres qu'on vous jette. C'est le début d'un piédestal."

© Vincent Pontet / OnP
La première partie s’ouvre sur la désolation de la cité de Troie portant les stigmates de la guerre. Les deux premiers actes dégagent musicalement l’intensité du désastre soutenue par l’implication dramatique des protagonistes. Point de cheval ni de serpents, à grand renfort de bandeaux façon News-TV 24/24, la prise de Troie est relatée heure par heure. Dans une bonbonnière royale à l’avant-scène se joue le petit théâtre des jeux de pouvoir de la famille de Priam dans une dramaturgie prenante. 
Merveilleux moment avec "Les Grecs ont disparu", l’étoffe est là pour Stéphanie D’Oustrac, désespérée Cassandre proclamant l’oracle dans la ville aveugle. A la grandeur antique de sa prière, son amant Chorèbe lui oppose un chant d’amour, somptueux Stéphane Degout au chant noble. 
Après cette 1ère partie prometteuse, la 2ème s’inscrit dans la peu glorieuse lignée des transpositions en manque d’inspiration et de poésie, le livret offrant pourtant une matière considérable. "Serait-ce que notre époque manque de poésie ?" s’interrogeait Berlioz qui n’aurait pas mieux dit ce soir. 

Traumatisés par la guerre, les protagonistes sont pris en charge dans un "Centre de soins en psycho-traumatologie pour victimes de guerre" à la décoration plutôt pimpante. Un unique décor pour l’épisode à Carthage et des trouvailles passe-partout que l’on a vu cent fois comme le mobilier du catalogue des cantines. 
© Vincent Pontet / OnP
Didon dirige le Centre, Enée ère d’ennui, coupé du monde et de ses sentiments. Certains patients s’adonnent au ping-pong, au jeu de dames et au Yoga, d’autres s’infusent les News TV sur l’actualité au Venezuela. Formant un cercle de thérapie de groupe, les patients brandissent des pancartes pour la Chasse Royale. Le sublime duo d’amour "Nuit d’ivresse et d’extase infinie" voit les deux tourtereaux attablés et éloignés de quelques mètres, sans aucun regard partagé ni frémissement. Il faut tout l’art des chanteurs pour nous réveiller de ce naufrage scénique, Ekaterina Semenchuk et Brandon Jovanovich parvenant à nous emporter dans la volupté et la grâce de ce duo. Didon se suicidera aux barbituriques mais à moitié, le temps de revenir pour une dernière partie de pancartes. 

L’ensemble des interprètes se prête au jeu avec conviction. Michèle Losier (Ascagne) et Christian Van Horn (Narbal) doivent chanter en échangeant des balles, ils n’en sont pas moins admirables. Cyrille Dubois en Iopas interprétant "O Blonde Cérès" est lui aussi irrésistible. 

A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, Philippe Jordan a conquis les spectateurs, heureuse commémoration du 150e anniversaire du génie romantique français disparu en 1869. Triomphant également aux saluts, le Chœur est pleinement à la hauteur de la tâche, notamment dans les passages généreux en puissance. Immense reconnaissance à ce chef-d’œuvre dont le succès fit tant défaut à Berlioz de son vivant !


"Les Troyens" de Berlioz, Opéra Bastille, 25 janvier 2019

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