Cosi fan tutte selon Michael Haneke

Liaisons Dangereuses et Triple Inconstance

Cosi fan tutte de Mozart au Teatro Real de Madrid 
Mars 2013 - Photo ©Javier Del Real
21 juin 2013 : il était prévisible que la vision des jeux amoureux par Michael Haneke ne nous laisserait pas indemne. Sa vision âpre et désenchantée des amants de Cosi fan tutte est une prise de conscience de plus que l’amour fait souffrir et que ses blessures conduisent aux pires égarements de l’âme humaine.

Habituellement, les metteurs en scène exploitent l’inconstance de jeunes femmes immatures et l’ADN de séduction de leurs partenaires dans un jeu où tout le monde joue et où tout le monde perd. On assiste alors à un jeu de masques où tout est faux sauf l’implacable démonstration que les sentiments ne sont pas éternels. Ce que l'on savait déjà. Mais Michael Haneke y ajoute une noirceur désespérante, reléguant aux archives de l’opéra le simple apprentissage d’une trahison vite oubliée et la fascination de l’amour sans nuages. Ici, la leçon est rude et les cœurs sont en miettes, y compris ceux des spectateurs.

Cosi Fan Tutte - Photo ©Javier Del Real
Pour la fête de la musique, Arte diffuse la nouvelle production de Cosi fan tutte de Mozart qui s’est jouée à Madrid en Première mondiale en mars dernier. Elle marque le retour de Michael Haneke à la mise en scène d’opéra. 
En grand cinéaste, il réussit à amplifier la puissance dramatique de l’ouvrage par une direction d’acteurs exemplaire. Le jeu des artistes est tellement impressionnant et réaliste qu’on en oublierait presque qu’ils sont aussi les chanteurs. Ce jeu est sublimé par la télévision qui permet des gros plans saisissants où les regards participent à la mise à nue de l’âme humaine.

Kerstin Avemo et William Schimell
Photo AFP
Autre idée forte, il n’y a plus deux couples qui se déchirent mais trois. Don Alfonso - le philosophe cynique et désabusé -  et Despina - la servante intrigante - constituent le troisième couple dont le passé alimente la noirceur de l’intrigue universelle. A leurs regards et postures, on sait qu’une histoire d’amour s’est jouée entre eux et que le désastre de la rupture est une blessure éternelle. Alors que les deux autres couples sont en costumes contemporains, ils sont en habits du XVIIIe siècle comme pour rappeler le jeu venimeux du couple diabolique des Liaisons Dangereuses de Laclos. 
Dans son incarnation de Despina, Kerstin Avemo est une véritable actrice, jouant de son visage blanc poudré aux allures mi-Colombine et mi-Marilyn amaigrie de désespoir.
Le Don Alfonso de William Schimell est dans la lignée du Don Giovanni stupéfiant du même Haneke dans sa première mise en scène à l’Opéra de Paris en 2006. Cette création nous avait déjà troublés et nous avions découvert un Peter Mattei au timbre ensorcelant très à l’aise dans cette élégante noirceur. 

Michael Haneke en répétitions au Teatro Real de Madrid
Photo ©Javier Del Real
Michael Haneke compose ses films comme des partitions de musique avec des silences, un tempo chaotique et des débordements émotionnels. Et il dirige Cosi fan tutte comme un film où la musique est le personnage principal. Les longs silences précédant les récitatifs contribuent à l’intensité dramatique. Le metteur en scène souligne le caractère intemporel des failles et des blessures humaines en mélangeant les époques et les costumes, à la fois XVIIIe et contemporains. Une lumière douce provenant du feu de la cheminée diffuse un peu de poésie dans ces scènes de vie cruelles.

Les jeunes couples de chanteurs ont le physique des rôles et des voix d'une grande fraîcheur, et la réalité est d'autant plus glaçante. Je n'avais jamais entendu chanter ces artistes mais Mozart est bien présent dans leurs interprétations. Ils ont une vraie consistance dramatique et derrière le livret faussement naïf, on perçoit les subtilités d’une œuvre bien plus profonde qu’il n’y paraît. Moi qui suis une adepte des grandes voix, pour une fois cela ne m’a pas manqué, car la force et l’émotion étaient ailleurs.

Le Chef Sylvain Cambreling explique son travail avec Michael Haneke
sur le site du Teatro de Madrid (*)

(*) avec Annett Fritsch (Fiodiligi), Paola Gardina (Dorabella), Juan Francisco Gatell (Ferrando), Andrea Wolf (Guglielmo), Kerstin Avemo (Despina) et William Schimell (Don Alfonso)

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