Don Carlo au festival de Salzbourg

Les voix humaines


Jonas Kaufmann (Don Carlo) et Anja Harteros
(Elisabeth de Valois)
18 août 2013: Avec Don Carlo, Verdi s’appuie plus que jamais sur le pouvoir émotionnel de la voix humaine. En confiant à Jonas Kaufmann et Anja Harteros, les rôles de Don Carlo et Elisabeth, le festival de Salzbourg ne pouvait pas nous proposer mieux. Quel autre couple lyrique pourrait nous emporter avec autant de justesse et d’intensité dans les affres d’un amour condamné par la raison d’état ? Beauté du timbre, amplitude de la voix, intelligence musicale et engagement scénique illuminent leurs duos d’amour déchirants. Les deux excellents chanteurs-tragédiens nous font entrer dans leur univers et l’on frémit de leur tsunami émotionnel magnifiquement incarné. 

Œuvre profonde et tellurique, l’histoire raconte les retentissements d’un amour interdit partagé par l’infant Don Carlo et la reine Elisabeth de Valois sur fond de puissants intérêts politiques et religieux. La musique de Verdi exprime ce destin tragique en marche dans une œuvre forte dont l’univers mélodique est totalement en phase avec les tourments des protagonistes. Au fil des actes, l’histoire est de plus en plus sombre, les personnages de plus en plus torturés et le public de plus en plus fasciné par cette beauté tragique. 

Peter Stein a conçu une mise en scène classique, épurée et harmonieuse. Les élégants jeux de lumière, la profusion de costumes noirs et l’ambiance bleutée des clairs de lune ont un pouvoir poétique certain. Cette beauté esthétique met en valeur le travail d’acteur incontestable et riche de sens de tous les interprètes, instillant une progression dramatique prégnante.


Don Carlole "tableau de famille d’une maison royale" comme l’appelait Schiller dont l’œuvre inspira le livret. L’histoire commence autour d’un feu allumé dans la forêt de Fontainebleau où la reine s’est égarée. L’action se déroule au XVIe siècle au moment où la France et l’Espagne tentent de négocier la paix. L’infant Don Carlo et la reine Elisabeth sont les jeunes "fiancés" qui se rencontrent dans la forêt. Ils badinent et s’épanchent aux joies de l’amour partagé. Les effusions seront de courte durée car cette reine venue de France va devoir épouser Philippe II, le roi d’Espagne et père de Don Carlo, devenant ainsi sa belle-mère. Consternation et début des ennuis. Pour compliquer la situation potentiellement adultérine, la princesse Eboli s’est amourachée de l’infant et fera tout pour compromettre la reine auprès de son époux. Rodrigue, marquis de Posa, est l’ami du fils dont il partage les aspirations idéalistes de libérer les Flandres de la répression sanglante des protestants.

Jonas Kaufmann et Thomas Hampson
(Rodrigue, Marquis de Posa)
S’ensuivront : l’affrontement du père et du fils un jour d’autodafé, l’engouement politique de Rodrigue et Don Carlo, la colère de l’Inquisiteur, la condamnation à mort de l'infant par son père, mais aussi la méditation de Philippe II sur son échec conjugal, la vengeance de la princesse Eboli, le désespoir de la reine trahie, la mort de Rodrigue dans les bras de son ami emprisonné. Enfin, les émouvants adieux des amoureux avant que le roi surgisse pour les arrêter, Don Carlo trouvant refuge dans la tombe de Charles Quint, son illustre et défunt grand-père !


Et pourtant, l'histoire fonctionne et la magie opère. Religion, morale, histoire de famille royale et dégâts collatéraux, la cours d'Espagne s'entredéchire dans un déferlement de passions qui exerce une réelle fascination. Verdi a le grand talent d’être un éminent analyste des âmes et jamais son génie dramatique n’aura atteint une telle perfection dans la traduction musicale de leur profondeur.


Jonas Kaufmann incarne Don Carlo, la raison du cœur, l’amant ombrageux qui oscille entre son désespoir amoureux et son combat politique. Riche de nuances et d’aigus éclatants, le chant de l’ardent ténor est toujours aussi bouleversant. Confondant de vaillance et d’émotion, son art de l’incarnation fascine.

Anja Harteros est une Elisabeth toute en dignité et noblesse royale, sublimant l'entrave de la raison d'état. Elle a le grand talent de jouer avec les couleurs de sa voix pour traduire les désordres émotionnels de son drame intérieur. La magie du souffle qui va se conclure dans un aigu souverain est d’une beauté renversante. Son somptueux aria "Tu che le vanità" du cinquième acte est d’une très grande intensité.

Les adieux de Don Carlo et d'Elisabeth
L'alchimie lyrique des deux interprètes est révélée dans le bouleversant duo d’adieu. L’engagement viscéral et complice des deux artistes est manifeste et sublime.
Chacun d’un côté de la grille du tombeau, ils expriment leur amour et leur tristesse à mi-voix, ultime échange désespéré des amants aspirant à se retrouver dans les cieux pour l’éternité. Les chanteurs ne peuvent pas pleurer mais nous oui.

Ekaterina Semenchuk (La princesse Eboli)
et Jonas Kaufmann (Don Carlo)
Ce couple incomparable n’a pas éclipsé leurs partenaires de grand talent. Le baryton américain Thomas Hampson, Rodrigue assuré avec noblesse et conviction. Découverte de la soirée, la mezzo-soprano russe Ekaterina Semenchuk a chanté une belle princesse Eboli avec des aigus lumineux et puissants dans un passionnant "O don fatale". La basse finlandaise Matti Salminen incarne le roi Philippe II, très engagé dans le poignant monologue du roi-mari qui entrouvre son cœur. Et la basse Eric Halfvarson est le terrifiant Grand Inquisiteur.

Le public a réservé de chaleureuses acclamations à la musique de Verdi lors d'arias magnifiés par les chanteurs. Puis il a ovationné les solistes et le chef Antonio Pappano qui ont tous contribué à l’intensité de cette soirée. Espérons que cette représentation enregistrée par Arte fera l’objet d’un DVD pour immortaliser - enfin - le séduisant couple royal Kaufmann-Harteros dans un Don Carlo, trop souvent difficile d’accès dans les théâtres lyriques qui annoncent "complet" dès les premières heures des réservations. 



°°°°°°°°°°°°°°°°


Festival de Salzbourg : Don Carlo de Giuseppe Verdi

Opéra en cinq actes basé sur le livret original français de Joseph Méry et Camille Du Locle, d’après le drame de Friedrich Schiller. Version de 1871, chantée en italien et dans sa version revue (à l’exception du ballet).



Distribution : Matti Salminen (Philippe II, roi d'Espagne), Jonas Kaufmann (Don Carlo, l'infant), Anja Harteros (Elisabeth de Valois), Thomas Hampson (Rodrigue, Marquis de Posa), Ekaterina Semenchuk (La Princesse Eboli), Eric Halfvarson (Le Grand Inquisiteur)


Direction Antonio Pappano - Orchestre Philharmonique de Vienne – Chœur de l'Opéra Vienne


Images © Monika Rittershaus

3 commentaires:

  1. Simplement extraordinaire. Tout était parfait. Nous attendons le DVD pour revivre les moments magiques de Salzburg.

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour, je souhaite savoir quand le DVD sera disponible et a quel tarif ?
    Marijke.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. L'annonce provient des organisateurs de Salzburg mais sans date de disponibilité. En général, il faut 6 à 12 mois pour la production.

      Supprimer