Grève à l’Opéra national de Paris
Une récente version concert à l’Opéra de Paris en juin
2011 Otello de Verdi avec Renée Fleming et Aleksandrs Antonenko |
11 septembre 2013 : Comme beaucoup, je me
réjouissais d’avance de découvrir la délicieuse et talentueuse Sonya Yoncheva dans
sa prise de rôle de Lucia et sa première apparition à l’Opéra de Paris. Mais
hier soir, aucune chance de découvrir la deuxième distribution de Lucia di Lammermoor de Donizetti dans le
mise en scène d’Andrei Serban. Pour son premier contrat avec l’ONP, la jeune
soprano aura vécu son baptême de feu dans les turbulences de cette spécialité française.
Les spectateurs ont été confrontés à la rituelle alternative
de la version concert "à la suite de
préavis de grève déposés par les syndicats SUD et FSU, l’Opéra national de
Paris, et de la CGT au niveau national". Cette information ayant été communiquée
par email deux heures avant le lever le rideau et par SMS à 19H23 - soit 7 mn
avant - les artistes et le public sont les perdants de cette soirée.
On imagine donc que la Direction de l’Opéra n’a aucune marge
de négociation sur ces préavis de grève et les pertes générées par ces soirées se chiffrent
en plusieurs centaines de milliers d’euros. Il semblerait que les deux tiers des
fauteuils étaient vides hier soir et l’institution lyrique devra les rembourser
ou les échanger. Le seul moyen de limiter le gâchis financier est d’avertir les
spectateurs le plus tard possible afin qu’ils fassent le choix contraint d’assister
à la version concert.
Après quelques hésitations, j’ai décidé de refuser de "financer" une version amputée de la mise en scène et de tout le travail de l’équipe
artistique. J’ai beaucoup d’admiration pour leur investissement personnel pendant
des mois pour le respect du public et le partage du bonheur de la pratique de
leur art. Mais aussi, parce que l’opéra n’est pas un concert. Comment les
interprètes peuvent-ils entrer dans l’émotion alors que l’environnement n'est pas propice à l'abandon ou à la folie du personnage ? Dans une salle comme Bastille, le seul jeu de
scène accessible au spectateur du deuxième balcon - entre autres - se
résume à entrevoir quelques ombres entrer et sortir maladroitement sur la
pointe des pieds. Malgré tous les efforts des interprètes pour donner vie à
leurs personnages, cela ne suffit pas à créer la magie et l’intensité d’un spectacle
abouti.
Sonya
Yoncheva dans Roméo et Juliette Opéra de Vienne en juillet 2013 ©Cédric Delestrade/AMC Studio Avignon |
La frustration du spectateur est à la hauteur de sa
passion pour l’art lyrique. Une de mes dernières expériences de version concert
à Bastille (il y a eu aussi récemment Faust
et les Noces de Figaro) était pour l’Otello de Verdi avec le retour de Renée
Fleming à Paris en juin 2011. A mes côtés, il y avait une jeune étudiante
passionnée de la soprano américaine qui avait réservé son billet des mois à l’avance.
La déception était immense mais ne pas assister à cette représentation eut été
pire. A la fin, le talent et la beauté de la voix de l'artiste dans
l’Ave Maria de Desdémone nous firent évoluer plus favorablement tant elle était
sublime. L’assurance de ses moyens vocaux, le moelleux du timbre, l’élégance et la
délicatesse du personnage habillé du rouge de la passion nous avaient arraché le cœur.
Son incarnation dramatique de celle qui n’imagine pas que l’âme humaine puisse
être cruelle était bouleversante, et convaincante sans artifices. Une grande
artiste dans un personnage fort et un aria transcendant peut nous faire oublier
les décors et les costumes. Mais cela ne fonctionne pas à chaque fois. J’espère
que Sonya Yoncheva et son partenaire Michael Fabiano ont pu s’affranchir du handicap "technique" de leur Première bien en phase avec notre époque. A
suivre…
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