Les déchirements de la
passion d’un Opéra Roc
Photo © Gregor Huhenberg / Sony |
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septembre : Deux albums en moins d’un mois et deux coups de cœur pour Jonas Kaufmann, immense artiste qui
continue de focaliser tous les regards ou plutôt tous les cœurs vers lui. Je
l’ai souvent écrit sur ce blog, Jonas Kaufmann est un ténor de génie. Technique
vocale impressionnante, incarnation dramatique stupéfiante de sensibilité et de
justesse, puissance émotionnelle de son timbre de bronze et art des nuances, il
a toutes les qualités pour toucher le spectateur au cœur.
Personnalité
forte et intuitive, ce ténor a inventé une modernité sensible et raffinée du
jeu de scène. Imprégné de l’intériorité du rôle et du plaisir de créer, il
dessine son personnage comme une évidence. Quand il apparaît sur scène, la
tension dramatique monte d’un cran et dans "The Verdi Album", les
déchirements de la passion sont à leur paroxysme. C’est un coup au cœur et à
l’estomac !
"The
Verdi Album" est éblouissant, racé et incarné. Que des héros romantiques
désespérés, trahis ou maudits pour lesquels le ténor s’embrase dans un déferlement
de passion, sans jamais dépasser la ligne rouge de l’emphase inutile.
Virilité
savamment cultivée mais aussi fragilité et raffinement quand le ténor ose
dévoiler sa part de féminité avec une justesse de ton désarmante. Comment
rester insensible à cet art de la transition fulgurante où il excelle, capable
de passer du plus aérien pianissimo à l’aigu tonitruant stupéfiant de beauté.
Moment de grâce où la douceur enveloppante de la nostalgie fait place à un
sursaut de désespoir armé de colère. C’est du très grand art. Récemment, on
demandait à Placido Domingo quel était selon lui le grand ténor des années à
venir, "Oh, c’est déjà Jonas Kaufmann" répondit-il.
Don Carlo à Salzbourg en août 2013 Photo © Monika_Rittershaus |
L’infant de cœur
Le
programme Verdi choisi par le ténor héroïque aligne 11 premières gravées dont 8
prises de rôles que l'on attend impatiemment : Aïda, Un Bal Masqué, Luisa Miller, Simon Boccanegra, La Force du destin,
Les Brigands, Otello et Macbeth.
Il
incarnait le Duc de Mantoue dans Rigoletto
il y a quelques années alors qu’il était en troupe à Zurich et son Infant de Don Carlo a été ovationné maintes fois à
Londres, Munich et Salzbourg.
Après son impressionnante prise de rôle dans Le
Trouvère à Munich en juillet dernier, il incarnera Don Alvaro de La Force du destin pour la première fois sur cette même scène en
décembre prochain. Ce choix de personnages très travaillés par le ténor fait l’objet
d’une analyse subtile et éclairée pour chacun des rôles dans le livret de
présentation de l’album.
On
rêve déjà de son Otello incandescent qu’il interprétera dans 2 à 3 ans. Nécessitant
de déployer une énergie colossale, c’est l’une des partitions pour ténor les
plus exigeantes du répertoire. Son interprétation des deux arias laisse
littéralement chancelant d’émotion. "C'est un
des opéras les plus passionnants, complexes et intéressants et le plus beau que
l’on puisse imaginer" déclare Jonas Kaufmann. "Et c'est aussi l'un des plus
exigeants et des plus dangereux, surtout à cause de l'impact émotionnel. Vous
pouvez facilement vous blesser vocalement si vous perdez le contrôle."
Deux
CDs et deux époques. L’autre album est un retour en arrière dans la décennie
qui l’a hissé au sommet de son art. Cette compilation est captivante de bout en bout par la démonstration
des talents et de l'aisance du ténor dans tous les répertoires : ses racines
allemandes avec Mozart, Strauss et Wagner, le lyrisme des Italiens avec Verdi et
Puccini, l’âme et la passion dans l’opéra vériste jusqu'à l’intimité avec le
drame romantique de Massenet, Gounot et Bizet. Ce CD est aussi un adieu à son
précédent label Decca.
Des larmes et du sens
Cet
album est une leçon de chant et un cadeau pour ceux qui le suivent dans sa
carrière, faisant revivre ces soirées inoubliables partagées avec cet artiste
au talent multiforme. Il renferme un florilège de ses incarnations portées par son investissement dramatique unique
au monde.
Tosca de Puccini à Munich ©Wilfried Hösl |
Ce don de donner sens et vie à ses personnages par une préparation
sans faille et dans le respect des intentions du créateur, c’est sa grande
force. Et toujours, cette perception intuitive des émotions dévoilant l’âme des
héros incarnés avec chaque mot lancé dans une grande compréhension du texte. Jonas
Kaufmann ne "joue" pas, il est totalement habité par son personnage
comme une projection de lui-même.
On
ne se lassera pas de ces arias où le ténor nous a laissé une forte empreinte
émotionnelle dans toutes ses prises de rôles : Werther désespéré, Cavadarossi
incandescent, Don José poignant, Don Carlo détruit, Faust nostalgique ou
Sigmund intense. Et quelques pièces rares comme le Lamento di Federico ou Ombra
di nube, instants de grâce lors de ses récitals, alors que le public est suspendu à son souffle,
fasciné par tant de splendeur.
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