La Forza del destino de Verdi à Munich (2)

Force 10

Vitalij Kowaljow (Padre Guardiano), Anja Harteros (Leonora)
 Jonas Kaufmann (Alvaro) et Ludovic Tézier (Don Carlo di Vargas)
11 janvier 2014 : Retour de Munich après une représentation de La Forza del destino avec des voix emmenant aux portes d’un rêve éveillée. 
Dans cette nouvelle production du Bayerische Staatsoper, la musique est littéralement portée par un trio vocal qui hisse l’art du chant à un niveau rarement exploré. Anja Harteros, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier sont les trois piliers de cette expérience lyrique qu’on ne vit que quelques soirs dans sa vie de mélomane.

Après la découverte de la première en streaming (article du 29 décembre), j’ai eu la chance de revivre ce spectacle à quelques mètres de ce casting magnifique. L’atmosphère des grands jours était palpable car une foule impressionnante de passionnés en quête d’un miraculeux billet inondait les marches de l’opéra. Les portes s’ouvrirent alors sur une soirée de grande intensité, au point de concevoir ces trois artistes comme les dignes représentants du patrimoine vocal du XXIe siècle.

La Forza del destino met en scène Leonora (la soprano Anja Harteros), la femme qui va se retirer du monde pour expier le meurtre de son père par son amant, et deux hommes liés l’un à l’autre par la force mystérieuse du destin. L’amant Alvaro (le ténor Jonas Kaufmann) est poursuivi par Don Carlo di Vargas (le baryton Ludovic Tézier), le frère qui veut venger la mort du père. On pense découvrir le trio classique qui est le principal moteur des plus beaux duos d’amour à l’opéra. Sauf que dans la Forza, ce sont les duos de bravoure, haine et désespoir entre le ténor et le baryton qui comblent nos attentes. Du jamais vu et du jamais entendu. Et comble de bonheur, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier sont prodigieux dans leurs effusions lyriques.

Je me rappelle les duos d’amour vertigineux de Kaufmann et Harteros, à Munich également, comme points culminants des représentations de Don Carlo ou Il Trovatore. Il s’agissait d’amour impossible et de fatalité sur fond d’honneur et de vengeance. Ce couple incandescent a rendu nombre de nos soirées inoubliables.


Ce soir, les cœurs battent à l’unisson mais ce sont un ténor et un baryton qui nous transportent. Je n’avais jamais vu une telle intensité entre deux chanteurs, une telle complicité musicale dans un registre d’émotion et de puissance rarement égalé. On assiste à une mise à nu de l’âme des personnages dans un investissement dramatique fascinant et une technique totalement sous contrôle. Les décors et les mouvements de scène ne sont plus que des détails sombres et remuants car nous n’avons d’yeux que pour Alvaro et Carlo ! De son côté, la noble Leonora/Anja Harteros est murée dans son refus du monde et la soprano aux aigus radieux nous offre de beaux moments lyriques dans les deux premiers actes. Elle ne croisera de nouveau son amant et son frère que dans les dernières minutes du drame, dans un sublime trio d’adieu au monde.


Cet opéra nous offre de nombreux moments de prouesses vocales mais quelques points d’orgue vont ouvrir les vannes du flot d’émotions : le tonitruant "Finalmente !" de Tézier, les bouleversants "Pardonatemi…pietà" de Kaufmann ou le magistral "Maledizione !" d’Harteros.

On n’ose plus applaudir de peur de rompre l’émerveillement. Toute notre attention est captée par ce qui se passe sur scène et on est prêt à mettre nos fonctions vitales et notre respiration au ralenti de peur de rater un pianissimo irréel. La salle est en apnée avant de faire éclater sa joie sous une grandiose ovation et des "bravos" torrentiels. On ne remercie jamais assez ceux qui nous ont transportés dans les étoiles.

Photos © Wilfried Hösl

1 commentaire:

  1. J'y étais le 5... je ne saurais dire mieux que vous ! C'était.... le paradis...

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