Sirène de la renommée
Renée Fleming |
10 février 2014 : Rusalka
est un conte lyrique qui réussit à nous émerveiller de bout en bout par la
beauté de sa ligne mélodique. La dernière diffusion Live in HD du Met a permis de redécouvrir cet ouvrage dans la mise
en scène d’Otto Schenk de 1993, fidélissime au livret. Pas d’allégorie ni de
lecture psychanalytique mais un réalisme kitch un peu périmé.
Renée Fleming
incarne cette nymphe des eaux qui passe des froides profondeurs bleutées de son
étang au feu de la passion muette, un rôle-titre qui occupe une place
importante dans sa carrière. Le ténor polonais Piotr Beczala campe un prince
charmant tour à tour passionné et malheureux.
Rusalka est un
merveilleux opéra au lyrisme délicat où éclate le génie mélodique d’Anton
Dvorak. C’est le seul ouvrage du compositeur qui a trouvé sa place dans le
répertoire des maisons lyriques internationales. Grand admirateur du romantisme
allemand, il s’est inspiré des harmonies wagnériennes qui installent une
atmosphère mystérieuse et mélancolique mais aussi tendre et voluptueuse. Le
somptueux "Chant à la lune" est un moment de pur ravissement pour succomber
à la voix enchanteresse de la sirène Renée Fleming.
Rusalka est un
voyage au cœur des légendes comme La
Petite Sirène d’Andersen et Ondine
de La Motte-Fouqué, celles qui nourrissent l’imaginaire des enfants par leur
essence féérique. Mais derrière le conte de fées, la face sombre des humains et
leur cruauté vont rapidement émerger pour anéantir les rêves de la belle
mystérieuse.
John Relyea (l'Esprit du lac) et Renée Fleming (Rusalka) |
L'opéra raconte l’histoire d’une ondine qui renonce à ses
attributs divins pour l’amour d’un prince qui chasse près de son étang. Son père,
l'Esprit du lac, très attristé par ce désir lui conseille de se tourner vers la
sorcière Jezibaba et sa potion magique. En contrepartie de son apparence
humaine, Rusalka est vouée au silence et s’il advint que le prince la trompe,
ce sera la damnation éternelle pour eux
deux.
Piotr Beczala (le prince) et Renée Fleming (Rusalka) |
Le prince tombe amoureux mais il se détournera de la belle trop
silencieuse pour céder aux avances d’une princesse étrangère très
entreprenante. La nymphe trahie est exclue du monde aquatique et du monde
terrestre. Elle pourrait échapper au châtiment en tuant le prince mais elle s’y
refuse. Ne pouvant oublier sa belle, le prince revient, préférant un dernier
baiser mortel à la vie sans elle. Rusalka entraînera le corps de l’aimé dans
les eaux froides de l’étang. Le prince aurait dû savoir que les sirènes par
leur chant envoutant mènent à leur perte ceux qui s’aventurent dans leur
sillage.
La production tristement désuète d’Otto Schenk est saturée
de végétation en carton-pâte et les costumes sentent un peu la naphtaline. Un défilé
pittoresque d’enfants en crapauds et lucioles en caoutchouc peint évoque une
touchante mais maladroite fête de fin d’année scolaire. On est loin des conceptions
contemporaines qui exploitent avec plus d’ambition ce drame teinté de merveilleux.
Visuellement, on pense aux illustrations
datées des livres de contes et légendes du passé.
Renée Fleming (Rusalka)et Piotr Beczala (le prince) |
Avec les années, Renée Fleming n’a rien perdu de sa beauté
et de sa grâce pour incarner une magnifique
Rusalka empreinte de sensualité et de force expressive. Les possibilités
étendues de sa voix aux aigus limpides
et son timbre crémeux en font l’une des plus grandes sopranos actuelles. D'origine
tchèque, la soprano américaine a été bercée dès son enfance par les résonances de
cette langue et elle affirme que Rusalka est probablement le rôle qu’elle aime
le plus. Elle l’a d’ailleurs chanté plus souvent que tout autre soprano dans
l’histoire de l’opéra. Son empreinte est gravée dans le moule comme sa
Desdémone dans Otello de Verdi, sa
Comtesse dans Capriccio de Strauss et
sa Maréchale dans Le Chevalier à la Rose.
Elle l’a chanté au Met au début des années 90 quelques années après avoir été auditionné
avec le "Chant à la lune" précisément. Elle l’a présenté à Bastille
lors de son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris en 2002. Le public
parisien se souvient de cette production impressionnante dans la mise en scène
moderne et poétique de Robert Carsen, une lecture psychanalytique avec des
effets de miroir dans un dispositif scénographique très astucieux.
Piotr Beczala (le prince) et Emily Magee (la princesse) |
Piotr Beczala a fière allure dans son costume de prince charmant au regard bleu
azur énamouré. Comme dans Eugène Onéguine
en octobre dernier, sa sensibilité slave sied au romantisme de son personnage. Voix
magnifique et phrasé élégant, le ténor polonais est beaucoup plus à l’aise dans
ce registre que dans La Traviata à la
Scala où il incarnait Germont découpant des courgettes dans la cuisine de
Violetta !
Renée Fleming (Rusalka) et Dolora Zajick (Jezibaba) |
Dolora Zajick est Jezibaba la sorcière des marais avec sa voix sonore.
Pour sa première apparition au Met, Emily Magee campe la princesse étrangère
avec beaucoup de conviction. John Relyea incarne un énergique Esprit du lac.
L'Orchestre du Metropolitan Opera est dirigé par le jeune
maestro canadien dynamique Yannick Nézet-Séguin. Alternant élans lyriques et
délicatesse des nuances, sa lecture de la partition en exhale toute la
magnificence. La richesse mélodique de Rusalka,
sa portée poétique et sa profondeur sont les clés de sa popularité.
Le "chant à la lune" par Renée Fleming, extrait de Rusalka à l'acte I
Photos © Ken Howard/Metropolitan Opera
Sauf que la nymphe accuse un âge certain... et que ça s'entend.
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