Le passé recomposé
Jonas Kaufmann et Sophie Koch ©Ken Howard / Met |
17 mars 2014: Quatre ans après le Werther d’anthologie de l’Opéra de Paris,
Jonas Kaufmann et Sophie Koch reforment le couple
d’amants malheureux et incroyablement beaux sur la scène du Metropolitan Opera de New York. La
nouvelle production de Richard Eyre
transpose l’argument au XIXe siècle de Massenet,
autres temps tout aussi romantiques que le XVIIIe siècle de Goethe. Avant de
découvrir cette nouvelle production, on repense à leur prise de rôle
miraculeuse à Bastille, cette soirée où la tension dramatique s’inscrivit
puissamment dans notre mémoire émotionnelle. Pour revivre une telle intensité,
la barre est haute et de toute évidence, les interprètes n’échapperaient pas
aux comparaisons. On imagine même leurs pensées secrètes pendant les
répétitions avec une impression de remise en jeu de leur titre olympique !
Et pourtant, quel enchantement musical et quel bonheur de retrouver
ce couple légendaire animé de la même passion, capable une fois de plus de nous
emporter dans un crescendo lyrique d’une beauté sidérante. La preuve qu’on peut
faire confiance aux grands talents pour nous surprendre encore et encore dans
leur capacité à se renouveler et à nous enchanter.
Les années ont passé, les voix ont évolué, la magie
opère toujours.
La voix puissante au timbre barytonal est plus
sombre, ce qui permet à Jonas Kaufmann de nouveaux effets dramatiques. "Ni
tout à fait le même, ni tout à fait un autre". Et toujours, ce chant qui donne le frisson, l’art des demi-teintes et l’inspiration pour s’engloutir
émotionnellement dans un regard. La voix de Sophie Koch s’est affirmée, son
chant est délivré avec plus de naturel et sa diction est plus claire. La mezzo-soprano
française a gagné en densité dramatique, ce qui lui permet des moments
d’intensité stupéfiante, notamment à l’acte III. C'est sa première apparition sur la scène du Metropolitan Opera.
Richard Eyre est un grand metteur en scène de théâtre
anglais très souvent gratifié de récompenses, et anobli par la Reine Elisabeth
II. Lors de l’entretien à l’entracte, ce professionnel se dit très inspiré par
la beauté de la musique de Massenet. Il avoue également son admiration pour les
talents de comédien des interprètes. Avec une pointe d’humour britannique, il compare
même Kaufmann à Robert De Niro "et en plus il
chante !".
Richard Eyre a conçu sa mise en scène dans le cadre
romanesque d’une maison bourgeoise du XIXe siècle. Sans revisiter le livret, le
metteur en scène a imaginé quelques scènes à des moments de la
partition généralement inexplorés. Ainsi, pendant le prélude, il montre la mort
de la mère avec les enfants derrière le cercueil, une référence au passé dont
on connaît l’importance dans le destin de Charlotte.
Le bal sur l'épisode du "Clair de lune" |
Puis le
bal où Werther a invité Charlotte nous vaut quelques pas de valses en tourbillonnant
parmi d’autres couples de danseurs. Elle, impériale comme Sissi, apparaît dans
une somptueuse robe de bal à traîne bouillonnée en satin duchesse. Lui, en
longue jaquette de flanelle grise virevoltante, gilet de soie et cravate au
vent !
L’acte I, le monde des sens, des couleurs et des souvenirs.
Les personnages évoluent dans le jardin où une grande table est dressée. L'atmosphère impressionniste se pare d'une flore abondante, "les grands
tilleuls" encadrant un petit pont japonais qui enjambe le jardin d’eau de
Monet. Par moment, des projections de vidéos illustrent des vols d’oiseaux ou
des changements de saison.
Pour Richard Eyre, la rencontre est surtout électrisante
pour Werther. Après son émerveillement devant l’harmonie du lieu, il est
immédiatement conquis par Charlotte. La jeune fille paraît plus mature,
retrouvant ses esprits à l’arrivée d’Albert. De son côté, Werther est très troublé
par la puissance du sentiment amoureux de même intensité que la déception qui suit,
traduisant une certaine immaturité sentimentale. Un peu maniaco-dépressif dirait
le Psy, et comme le souligne Jonas Kaufmann dans un entretien sur son interprétation.
A l’acte II, Werther se débat un peu seul avec son problème face à
Charlotte distante, bridée par le devoir et sous l’emprise de son engagement moral.
On reçoit l’acte III avec d’autant plus de force car la transformation de la
jeune femme relisant les lettres de Werther est bouleversante. Tout est joué mais
l’éloignement a fait croître le sentiment amoureux.
"Revenu aux temps fixés", Werther relit les vers d'Ossian à Charlotte, tout à son désespoir. Il achève de la troubler jusqu'à l'étreinte d'une sublime intensité. Kaufmann est d’une présence scénique
imparable et d’une implication dramatique inouïe lors de l'aria tant attendu "Pourquoi me réveiller...". Le ténor fascine avec cette intelligence du texte où chaque mot est relié à son dictionnaire
sensible jusqu’à ces paroles folles de Werther anéanti "Emportant l’éternelle
torture, ma tombe peut s’ouvrir!".
A peine remis de nos émotions arrive l’acte IV. Autre
vision du metteur en scène : lorsque le rideau s’ouvre, Werther ne s’est
pas suicidé. Il lutte encore contre lui-même et il repense à l’inéluctable séparation qui était
inscrite dans le choix qu’il avait fait de la femme interdite. Le coup de feu retentit
dans un paroxysme musical pour une mort en direct insupportable. Blessé à mort,
il respire juste assez pour un long duo d’amour, heureux enfin. Un instant d’éternité
avec le dernier baiser alors que la vie s’enfuit, plutôt se séparer de tout que
de l’être aimé. "Tout est fini" pour Charlotte qui se relève et
dirige le pistolet vers elle. Ces derniers instants sont toujours aussi
bouleversants et je ne connais pas d’autres couples lyriques actuels capables d’emporter
aussi loin dans l’émotion.
Lisette Oropesa et Sophie Koch |
Les seconds rôles sont tout autant crédibles. Lisette Oropesa s’investit scéniquement
dans le rôle de Sophie. Son jeu dramatique face à Charlotte relisant les
lettres est d’une grande sensibilité. Le timbre est agréable et les aigus sont affirmés.
La jeune soprano américaine avait déjà fait sensasion dans le rôle de Nanetta
dans Falstaff en décembre dernier.
David Bizic & Sophie Koch |
Le
baryton-basse serbe David Bizic fait
ses débuts au Met dans le rôle d’Albert, une belle voix profonde et puissante. Tout
cette distribution est portée par un orchestre très engagé, mené par le chef
français Alain Altinoglu qui sait traduire
toute la sensibilité et l’émotion de la musique de Massenet. Instruments des
souffrances de Werther, les mélodies semblent reliées à son intériorité dans
une expression musicale sublime. Une œuvre d’une efficacité dramatique
indéniable.
Photos ©Ken
Howard / Metropolitan Opera
Jonas Kaufmann et Sophie Koch
Werther Acte 1 au Met
A quand la sortie du DVD ?Ici ce sont des lieux habités par des etres humains; à l'Opera Bastille, ce sont des lieux vides, non habités, ou l'on ne peut meme pas s'asseoir, vides de vie donc vides de sens. Et pourtant, qu'est ce qu'ils chantent bien !!!!!!
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