La Traviata de Verdi à l'Opéra de Paris

Violetta impériale

© Elisa Haberer / Opéra national de Paris
19 juin 2014 : La Traviata est de retour à l’Opéra de Paris dans la nouvelle production de Benoît Jacquot. En adaptant la Dame aux camélias de Dumas, Verdi poursuit son analyse de l’âme humaine, explorant ses zones d’ombre jusqu’au moment où tombe le masque qui occultait la réalité du cœur. Violetta est une héroïne de roman, une "dévoyée" qui a emprunté le mauvais chemin, celui du pire. Ce qui touche immédiatement dans La Traviata, c’est l’expression de la douleur portée à son incandescence par la musique de Verdi. Quand le rideau s’ouvre, Violetta est face à son miroir, son médecin à ses côtés la réconforte du regard. La maladie est déjà là et le sort tragique de la jeune femme est annoncé par ce sublime prélude où les violons seuls pianissimo nous serrent le cœur.

A Bastille, lors de la dernière production de La Traviata dans la vision anecdotique de Christoph Marthaler, on avait quitté les amoureux grimés en Edith Piaf et  Théo Sarapo. Alfredo s’ennuyait tellement à la campagne qu’il réparait la tondeuse à gazon et Violetta rendait son dernier souffle sur un plancher jonché de fleurs en putréfaction. Rien de tel avec Benoît Jacquot qui préfère cultiver l’exaltation des sentiments. Comme pour Werther en 2010, pas de relecture ni de transposition mais un travail d’esthète sublimant la lumière et les décors, au plus proche du texte et de ses interprètes. Le metteur en scène assume son choix de mettre en exergue le chant, sa force et son drame, surtout quand il est servi par de grands interprètes comme Diana Damrau, Ludovic Tézier et Francesco Demuro.

Diana Damrau incarne une magnifique Violetta avec intelligence et profondeur. On la sent totalement investie, s’affranchissant de toutes les difficultés techniques, comme une nécessité vitale de donner le meilleur d’elle-même. Elle en devient de plus en plus touchante au fil des actes. La soprano possède les aigus éclatants de l’acte I, l’ampleur vocale et le sens dramatique pour hurler son désespoir sacrificiel à l’acte II. Enfin, elle possède la palette de nuances pour se consumer jusqu’à la rupture du cœur et du corps dans l’agonie du dernier acte. Un dernier beau moment de tragédienne lyrique et une belle ovation de la soprano allemande. Un juste retour du destin pour celle qui a décidé d’embrasser la carrière lyrique en découvrant un soir à la télévision la Violetta de Teresa Stratas.
Le jeune ténor italien Francesco Demuro campe un Alfredo plein d’ardeur. Il a le charme et le mordant pour la scène chez Flora à l‘acte I, l’impétuosité de l’acte II est peut-être un peu sur jouée. Le timbre est très séduisant et le chanteur est attachant pour ses débuts à Bastille.
Face à eux, Ludovic Tézier est impérial. Quand l’un des plus grands barytons verdiens du moment entre en scène, la tension et la beauté du chant montent encore d’un cran.
Verdi conduit ici d’une façon magistrale ce déchirant dialogue entre Germont-Père et Violetta. Cette confrontation entre personnages forts est un moment unique, hypnotique, deux voix sublimes s’entremêlent et nous touchent. 

A l’opéra, rien n’attire davantage Benoît Jacquot que les conventions. Sa mise en scène est donc conventionnelle et élégamment dépouillée. Les tableaux se découvrent comme une peinture. Alors que le peintre dirige le regard du spectateur par le jeu de couleurs et des perspectives, Benoît Jacquot l’attire vers des éléments de décor qui envahissent l’espace de façon disproportionnée. Comme une opportunité de regarder différemment le monde et mettre l’accent sur ce qui est essentiel au drame. Il affectionne le clair obscur si bien accordé aux mouvements de l’âme. Il ne transpose pas l’époque, il reste au XIXe siècle, la rédemption par l’amour d’une courtisane doit prendre tout son sens. Il souhaite simplement émouvoir avec l’ascension puis la chute de la dévoyée dans un monde d’hommes veules et autoritaires.

A l’acte I, un lit monumental, celui de la courtisane, surplombé du tableau de l’Olympia de Manet. Le portrait d’une prostituée qui ne cache rien, pas même son regard assuré, alors que la servante noire lui apporte le bouquet certainement offert par un amant. A l’acte II, deux tableaux se partagent la scène. Au 1er tableau, on découvre un arbre gigantesque sous une lumière crépusculaire qui préfigure le basculement dans le drame. On est loin des fastes factices des nuits parisiennes, Violetta a tout quitté pour vivre avec Alfredo à la campagne.


Les lumières se rallument violemment sur un immense escalier au 2ème tableau pour la fête chez Flora, faisant place aux figurants qui étaient restés statufiés dans l’obscurité. Seule entorse au classicisme, la danse des bohémiennes et des matadors est en version transsexuée. Au dernier acte, le vaste lit est presque démonté et le matelas replié, c’est l’imminence du dénouement tragique dans une solitude glaciale.  


Cette nouvelle production de La Traviata s’impose à nous en douceur, s’insinuant dans les tréfonds de l’âme si chers à Verdi. Sans transgression ni subversion, elle nous touche par la sincérité des visages, l’humanité et la générosité de ses protagonistes. Son classicisme presque rafraîchissant ne cache pas un manque d’inspiration, bien au contraire, et il permet de savourer l’expression du génie musical de Verdi.

Photos © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

La Traviata de Giuseppe Verdi
Opéra en 3 actes (1853) - Livret de Francesco Maria Piave d’après la pièce La Dame aux camélias de Dumas fils (1852)

Mise en scène Benoît Jacquot - Décors Sylvain Chauvelot - Costumes Christian Gasc - Lumières André Diot - Chorégraphie Philippe Giraudeau                       
                             
Diana Damrau (Violetta Valéry), Francesco Demuro (Alfredo Germont), Ludovic Tézier (Giorgio Germont), Anna Pennisi (Flora Bervoix),  Cornelia Oncioiu (Annina), Nicolas Testé (Docteur Grenvil), Gabriele Mangione (Gaston de Letorières), Fabio Previati (Baron Douphol), Igor Gnidii (Marquis d’Obigny).                      
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris - Chef de Chœur Alessandro Di Stefano - Direction musicale Daniel Oren     
Opéra national de Paris, 17 juin 2014


1 commentaire:

  1. J'étais présente à la représentation du 7 juin. La production de Benoît Jacquot m'a déçu : les costumes et les décors étaient très beaux mais il n'y avait aucune direction d'acteur. Diana Damrau était égale à elle-même : Violetta de grande classe et très musicale mais peu émouvante (pas une larme dans le "Addio bel passato"). Francesco Demuro était une catastrophe... Un joli timbre mais aucune puissance. Donnant constamment l'impression de forcer sur sa voix avec des "forte" qui ressemblait à des gémissements, il a finit la soirée avec un "Parigi o cara" plus qu'approximatif et un "Prendi quest'è l'immagine" faux. Le Germont père de Ludovic Tézier était écrasant d'autorité. Quelle voix! Sans aucun doute le meilleur baryton français depuis Bacquier et le meilleur baryton verdien actuel. Son duo avec Diana Damrau était le moment le plus émouvant de la représentation. Bref, un spectacle à voir pour Tézier et pour la Damrau.

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