Tosca de Puccini à l'Opéra de Paris

Sous le signe de la croix

Tosca Acte 1 - Te Deum
25 octobre 2014 : L’Opéra de Paris n’avait pas produit de nouvelle Tosca depuis 20 ans. Après plus de cent représentations, l’antique production de Werner Schroeter disparaît de la scène. Curiosité légitime, la nouvelle production d’un des opéras les plus joués et aimés du répertoire était très attendue. Pierre Audi signe une mise en scène d’un classicisme chic, esthétique et lisse, qui s’inscrit dans l’époque décrite par le compositeur. A défaut d’être saisissante, cette production est soignée et convaincante. Elle remplit paisiblement son office, pas de transposition ni d’effets elliptiques ou clinquants, à deux dérogations près : une croix gigantesque omniprésente et la mort de Tosca.

Intrigue amoureuse et conflit politique s’imbriquent pour faire de Tosca un véritable thriller musical. Dès les premiers accords d’un éclat fracassant, Giacomo Puccini frappe fort. Coups de canon, de poignard et de foudre, les trois héros vont tous succomber à une mort violente. On s’incline devant le chant de Ludovic Tézier dont l’instrument se plie à toutes ses volontés. Martina Serafin incarne une Tosca frémissante et sage. Le timbre soigné et solaire de Marcelo Alvarez ne compense pas sa caricature du personnage de Mario Cavaradossi. 



Tosca Acte II - Le Palais Farnese
A l’acte I, une croix monumentale occupe tout l’espace comme un bunker sur lequel apparaissent Scarpia et les Ecclésiastiques au moment du Te Deum. Un symbole de la puissance du pouvoir spirituel mais rien qui ne ressemble à l’église de Sant ’Andrea della Valle de Rome. D’autres éléments de décors sont là pour nous le rappeler : des chaises d’église, des présentoirs alignés de cierges allumés et le portrait de Marie-Madeleine noyé dans une fresque tendancieuse de nymphes dénudées. A l’acte II, la grande croix est suspendue aux cintres, une présence pesante et oppressante comme la tension entre les protagonistes. C’est aussi en écho au pouvoir politique de Scarpia qu’elle surplombe l’appartement Empire du Palais Farnese où défilent les sbires du baron aux allures de corbeaux. 

Tosca Acte III : La mort de Mario
Enfin, à l’acte III, la croix dessine une ombre portée sur un campement militaire s’éveillant dans les lumières de l’aube, téléporté de la terrasse du Château Saint-Ange. Floria Tosca ne peut plus se jeter dans le vide après la mort de son amant, elle disparaît sous un voile noir puis avance dans un halo lumineux déclamant son ultime malédiction de Scarpia comme une prière. 
Finalement, une belle cohérence portée par la puissance du décor de Christof Hetzer et les éclairages sublimes de Jean Kalman. Un spectacle séduisant qui devrait faire les belles soirées de répertoire des vingt prochaines années à l'Opéra de Paris.

Martina Serafin et Ludovic Tézier
Très attendu également, le premier Scarpia de Ludovic Tézier tient toutes ses promesses. Là où d’autres titulaires sont adeptes de l’emphase et de l’artifice, le baryton français s’appuie sur son naturel vocal, ce beau velours sombre, ce jeu de nuances et cette projection qui s’épanouissent pleinement avec les années. Avec son jeu scénique sobre mais habité, il tisse une personnalité complexe de Scarpia, prédateur diabolique qui dissimule sa jouissance de la souffrance d’autrui. Lors de la confrontation avec Tosca au II, il construit une belle intensité dramatique appuyée par la coloration de chaque mot dans ce moment mêlant désir refoulé et perversité. 
Martina Serafin est une Tosca généreuse plus sensible que passionnée. Avec toute sa palette de nuances, le célèbre "Vissi d’arte" du deuxième acte n’est pas dénué de frissons. Une incarnation convaincante de la part de cette véritable artiste qui a déjà interprété ce rôle-titre dans l’enceinte de Bastille et ailleurs. Une Floria Tosca classique mais l’une des meilleures actuellement.

Mario où es-tu !
Martina Serafin et Marcelo Alvarez
Dernier personnage de la trilogie vocale, Marcelo Alvarez campe un Mario boudeur, amant malheureux et malhabile, quasi infantilisé lorsqu’il embrasse Tosca sur le front. Certes, le ténor argentin interprète les tubes "Recondida armonia" et "E lucevan le stelle" avec d’indéniables qualités vocales mais le jeu est emprunté.
Il pâtit sûrement de la faiblesse de direction d’acteurs de la nouvelle production. Lâché en improvisation, il tente la moue et les gros yeux aux carabiniers pour échapper à la mort. Le ténor est concentré sur la délivrance de son chant mais il en oublie l’essentiel, l’émotion. Sans elle, la technique ne suffit pas et l’art lyrique est vidé de son essence.

"Mario" - Tosca au Bayerische Staatsoper en 2010
En même temps, il avait peu de chance de me tournebouler. Car retrouver un Mario de la trempe de Jonas Kaufmann, profondément émotionnel comme à Munich, Londres ou Milan, c’est presqu’impossible. 
En 2010, le Bayerische Staatsoper n’avait pas hésité à parer sa façade d’un immense "Mario" à l’image de l'incarnation du ténor bavarois: une élégance exceptionnelle tempérant la ferveur du révolutionnaire par une poignante tendresse.

En inventant une réalité incontestable du personnage de Puccini, Jonas Kaufmann a immortalisé ce rôle dans le cœur de beaucoup d’entre nous, créant une vibration pure inoubliable. Alors que l’on pense avoir fixé un moment heureux, on prend ensuite conscience que l’on a créé de la nostalgie.


Photos : Charles Duprat / Opéra national de Paris

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