Otello de Verdi à Munich

L'émotion à l'oeuvre

10 décembre 2018 : Otello de Verdi au Bayerische Staatsoper, drame de la jalousie dans un univers hors d’âge imaginé par Amélie Niermeyer et magistralement interprété. Trois voix d’exception, et plus encore, trois incarnations qui subjuguent par l’intensité du jeu. L’émotion à l’œuvre est contagieuse.
Dans cette œuvre brillante et expressionniste, Verdi débusque les pires travers de l’humanité avec une grâce poétique infinie. Amélie Niermeyer propose un voyage dans la psyché des protagonistes, une mise à nu dépouillée du contexte historique. Otello n’est plus ce chef de guerre auréolé de victoires retrouvant son épouse alanguie par son absence, c’est un officier ordinaire, intérieurement brisé de batailles qui va céder au doute et aux apparences jusqu’à l’acte irréparable.  

Un drame de l’intime dans lequel Jonas Kaufmann et Anja Harteros subliment les moments intenses, du simple regard au tendre baiser. Une telle profondeur du jeu et des sentiments que l’on se sent parfois de trop dans l’intimité du couple. 
Avec de tels artistes, la musique se fait chair, laissant transparaître les souffrances, les cicatrices mais aussi l’humanité des sentiments. Ne jamais sacrifier l’intuition musicale et leur tendre complicité pour ne jamais fabriquer l’émotion mais l’infuser dans le cœur, telle est leur règle d’or. 



"Dans l’opéra italien, l’expression vient de la voix" disait Verdi. Quand Otello chante "Si per ciel marmoreo giuro !" (Par le ciel ardent, je jure !), comment ne pas partager sa souffrance et peut-être son envie de vengeance. Jonas Kaufmann forge un chant à la fois viril et défait. "La jalousie est un monstre qui s’engendre lui-même et naît de ses propres entrailles" écrivait William Shakespeare de son personnage. La souffrance, la déchéance et la mort exigent un chant supérieur, mobilisant corps et âme aux confins du débordement émotionnel. Il en faut du talent pour faire naître une dimension supérieure de l’art lyrique : l’incarnation juste et l’émotion. C’est l’art suprême de Jonas Kaufmann qu’on ne puisse imaginer actuellement un autre Otello de cet envergure sur scène.

Dans le rôle de Desdemona, Anja Harteros confirme son art du contrôle souverain de sa ligne de chant, de ses attaques et du pianissimo flottant. Omniprésente en fond de scène, sa chorégraphie corporelle dit l’inquiétude, l’incompréhension et la préscience du drame à venir. Ame forte, elle tend la main à son époux alors que le rival inventé a envahi ses pensées. Au IV, la chanson du saule est un pur bijou, il faut être une grande chanteuse pour faire ressentir le frisson de la mort.

En Iago, Gerald Finley cultive l’ambiguïté et la noirceur du personnage dans la relation empoisonnée. Baryton au timbre caressant, il a aussi la séduction et le tranchant de voix pour distiller la poison, façonner les pulsions et amener la vengeance. 


Dans la fosse, Kirill Petrenko a laissé la place à Asher Fisch pour un soir. Une direction qui porte les chanteurs, respire avec eux dans une coordination admirable avec la puissance chorale du Staatsoper. L’Orchestre de Bavière fait des merveilles dans les nuances, la fluidité et l’expression de la beauté de la partition. Tout cet ensemble d’harmonies et de vibrations tragiques donne le frisson, nous révélant magistralement la puissance de cette œuvre d’art. Pour longtemps encore.


Gerald Finley, Jonas Kaufmann, Anja Harteros

BSO - 6 décembre 2018


Images © BSO / Wilfried Hösl

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire