Otello de Verdi aux Chorégies d'Orange

Roberto Alagna, un Maure bien vivant

Roberto Alagna © Boris Horvat/AFP
8 août 2014 : Pire que les débats sur le budget  à l’Assemblée Nationale, il y a ceux sur la prise de rôle d’Otello par Roberto Alagna à Orange. 
"L’affaire" enflamme certains blogs et forums et la cruauté du monde de l’opéra n’a d’égale que celle du monde politique. Roberto vient de se faire retoquer par le conseil constitutionnel des défenseurs de l’art lyrique. Je ne suis pas une groupie du ténor national mais plus les attaques sont rudes plus ses bravoures musicales et médiatiques me sont sympathiques.

Pour ses détracteurs, un parcours sans remous, bien réglé, irréprochable mais ennuyeux pour lui à terme eut été préférable. C’est de l’avoir méprisé qu’il subit leurs foudres. Préférant l’ivresse d’un rôle écrasant au confort d’un havre paisible, Roberto est une personnalité pleine d’énergie à sang froid. Il assume ses choix, le sourire aux lèvres, indéboulonnable. Au lendemain d’un jour de pluie de bons mots et de vols de noms d’oiseaux, une presse dépassionnée - elle-même soupçonnée d’avoir scellé un pacte avec le pauvre diable - salue la performance.

Roberto Devereux de Donizetti à Zürich

Voix d’outre-monde et aigus immortels


© Opernhaus Zürich
20 juillet 2014 : Lorsque Edita Gruberova entre sur la scène de l’Opernhaus de Zürich, on se réjouit d’avance de cette soirée au contact de l’un des derniers monstres sacrés de l’opéra. 
La soprano slovaque foule les plateaux depuis plus de 45 ans, triomphant à Munich, Vienne et Barcelone avec ce rôle fétiche d’Elisabeth 1ère d'Angleterre. Dès son entrée, l’artiste domine parfaitement ses moyens vocaux, se jouant de sa technique, trillant, pianissimant, tonitruant…et enflammant le public subjugué par son art.

Roberto Devereux est l’une des pièces maîtresses de son répertoire. Ce soir, Edita Gruberova vient encore de démontrer qu’elle est une Elisabeth hors d’atteinte à près de 68 ans. L’attaque sidérante de ses aigus, sa projection phénoménale et sa présence scénique font de chacune de ses apparitions un moment d’intensité incomparable. A ses côtés, son compatriote, le jeune ténor Pavol Breslik campe un Roberto Devereux pénétré ; son timbre séduisant et sa voix claire et lumineuse font des merveilles face à la diva. La séduction vocale et l’implication scénique de Veronica Simeoni en Sara et d’Alexey Markov, le duc de Nottingham, parachèvent l’enchantement de cette représentation.

Jonas Kaufmann "Du bist die Welt für mich"

Pourquoi ce look de crooner des années 30 ?

10 juillet 2014 

Jonas Kaufmann rouvre une page de l’histoire musicale allemande dans un CD "Du bist die Welt für mich" qui rend hommage aux opérettes des années 30 à Berlin. 
En pleine crise économique de l’entre-deux-guerres, la République de Weimar (entre la défaite de l'Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale en 1918, et la montée d'Hitler au pouvoir en 1933) était le centre d’une création artistique considérable. On assiste alors à une explosion d’œuvres dite "légères" sous la plume de nombreux compositeurs comme Lehár, Stolz, Abraham, Tauber, May et Korngold. Ces musiciens seront victimes du fanatisme racial à l’arrivée du nazisme et subiront un destin tragique pour certains d'entre eux.

A la fois "classique" et "populaire", ces opérettes revêtent la mission sociale de divertir les populations confrontées à une grave crise politique. Jonas Kaufmann rend hommage à ce répertoire spécifiquement écrit pour les ténors.

Manon Lescaut de Puccini au ROH

Londres de choc !

Kristine Opolais et Jonas Kaufmann
ROH ©Bill Cooper
26 juin 2014: Dès les premières mesures, l’alchimie orchestrale de Manon Lescaut nous cueille au plus profond de nous-mêmes et réveille les émotions. Avec Giacomo Puccini, les chanteurs savent d’emblée qu’ils entrent en scène pour se consumer dans le drame. Au Royal Opera House de Londres, Kristine Opolais et Jonas Kaufmann l’ont bien compris. On attendait beaucoup de ce nouveau couple lyrique et nos attentes furent comblées. Ces deux tempéraments lyriques immortalisent ce mélodrame flamboyant dans des duos passionnés. Un degré d’ébullition rarissime et une autre façon d’être présents dans l’inspiration de Puccini, tellement incarnée, presque dépassée, que l’impact de leur chant est d’une puissance rarement égalée. Deux voix qui s’accordent à merveille dans une fusion parfaite des sensibilités et des timbres.

Jonathan Kent signe une mise en scène épicée de sensualité et transpose l’argument dans l’univers contemporain d’un motel, d’une salle du jeu, d’une chambre d’hôtes de charme et de la prostitution filmée en télé-réalité. Même si l’adaptation est osée, elle ne côtoie jamais la vulgarité et encore moins l’ennui car elle repose sur la fascination provoquée par ces deux interprètes incroyables de présence. Le sang puccinien coule dans les veines d’Antonio Pappano, pimentant cette partition de ses plus belles envolées orchestrales d’un lyrisme caressant.

Les 10 raisons d'aimer Puccini

...et Manon Lescaut
21 juin 2014 : Les œuvres de Giacomo Puccini sont d’un romantisme indestructible et parlent à notre sensibilité comme nulles autres.
Manon Lescaut enchante actuellement le public londonien et Jonas Kaufmann vient d’annoncer qu’il aimerait ajouter prochainement le rôle de Calaf de Turandot dans son agenda. Selon lui, le pouvoir de cette musique sublime les émotions humaines de manière unique, ce qui lui permet d’entrer dans le personnage "avec son corps et son sang". Les arias sont tous aussi beaux que difficiles, avec une intensité qui ne laisse aucun répit aux chanteurs qui doivent énormément projeter leur voix pour ne pas se faire étouffer par l’orchestre. Roberto Alagna souligne que ces grandes lignes mélodiques exigent des prouesses de souffle et d’endurance. Et "à force de fréquenter Puccini, on se comprend mieux soi-même." dit-il. Pour comprendre cette fascination des ténors à l’égard de Puccini, petit zoom sur les dix raisons d’aimer sa musique.

La Traviata de Verdi à l'Opéra de Paris

Violetta impériale

© Elisa Haberer / Opéra national de Paris
19 juin 2014 : La Traviata est de retour à l’Opéra de Paris dans la nouvelle production de Benoît Jacquot. En adaptant la Dame aux camélias de Dumas, Verdi poursuit son analyse de l’âme humaine, explorant ses zones d’ombre jusqu’au moment où tombe le masque qui occultait la réalité du cœur. Violetta est une héroïne de roman, une "dévoyée" qui a emprunté le mauvais chemin, celui du pire. Ce qui touche immédiatement dans La Traviata, c’est l’expression de la douleur portée à son incandescence par la musique de Verdi. Quand le rideau s’ouvre, Violetta est face à son miroir, son médecin à ses côtés la réconforte du regard. La maladie est déjà là et le sort tragique de la jeune femme est annoncé par ce sublime prélude où les violons seuls pianissimo nous serrent le cœur.

A Bastille, lors de la dernière production de La Traviata dans la vision anecdotique de Christoph Marthaler, on avait quitté les amoureux grimés en Edith Piaf et  Théo Sarapo. Alfredo s’ennuyait tellement à la campagne qu’il réparait la tondeuse à gazon et Violetta rendait son dernier souffle sur un plancher jonché de fleurs en putréfaction. Rien de tel avec Benoît Jacquot qui préfère cultiver l’exaltation des sentiments. Comme pour Werther en 2010, pas de relecture ni de transposition mais un travail d’esthète sublimant la lumière et les décors, au plus proche du texte et de ses interprètes. Le metteur en scène assume son choix de mettre en exergue le chant, sa force et son drame, surtout quand il est servi par de grands interprètes comme Diana Damrau, Ludovic Tézier et Francesco Demuro.

Manon Lescaut, en direct du Royal Opera House

Âmes sensibles, ne pas s’abstenir

15 juin 2014 : En direct du Royal Opera House le 24 juin prochain à 19h45, dès les premières notes de la musique de Giacomo Puccini, les mélomanes assis dans la pénombre des centaines de salles de cinéma du monde entier retiendront leur souffle. Manon Lescaut revient à Covent Garden après 30 ans d’absence dans une nouvelle mise en scène de Jonathan Kent. Mais surtout, l’affiche brille de mille feux avec la promesse d’un lyrisme radieux. Un nouveau couple lyrique se forme réunissant Kristine Opolais dans le rôle-titre face à Jonas Kaufmann dans son premier Chevalier Des Grieux, une prise de rôle très attendue pour chacun d’eux.

Dès sa création en 1893, Manon Lescaut fût un immense succès couronné par trente rappels. Le monde entier salua le don symphonique de Puccini et l’intensité musicale extrême de l’ouvrage. Le compositeur fût depuis régulièrement raillé pour le sentimentalisme de ses opéras, oubliant son sens aigu de l’innovation harmonique et du langage dramaturgique. A Londres, qui pourra résister au pouvoir émotionnel de cette partition et de ces deux interprètes ?
Premiers échos à découvrir dans les jours suivant la première du 17 juin.

L'Italienne à Alger au TCE

Lemieux au mieux de sa forme

11 juin 2014: Quatrième volet du Festival Rossini présenté au Théâtre des Champs-Elysées, L’Italienne à Alger est composé de pages brillantissimes qui requiert autant d’agilités vocales que de talents comiques. Présentée dans une version de concert, cette bouffonnerie déjantée permet aux interprètes de s’en donner à cœur joie, pour le plus grand plaisir d’un public hilare. A lui seul, le titre de l’ouvrage fait sourire mais c’est bien une belle aventurière qui a enflammé l’imagination du jeune Rossini de 21 ans. L’intrigue invraisemblable mêle corsaires, eunuques et turqueries, tout cela mené tambours battants autour d’une Italienne au tempérament bien trempé, Isabella.

Dans ce rôle haut en couleurs, la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux confirme son abattage inné. Elle est entourée de chanteurs rôdés aux techniques rossiniennes accolées à un certain talent pour la comédie et beaucoup de truculence. Tous réunis dans le bonheur de chanter cette partition écrite comme une mécanique d’horlogerie. Le talent de Rossini de souligner en musique l’aspect dérisoire et comique des situations est absolument fascinant.

Tancredi de Rossini au TCE

Ciofi, sublime Amenaide

Patrizia Ciofi & Marie-Nicole Lemieux, 
© Vincent Pontet Wikispectacle
23 mai 2014: Après Otello et Le Barbier de Séville, Tancredi est le troisième volet du Festival Rossini au Théâtre des Champs-Elysées. Chanter Rossini relève toujours de l’exploit, exigeant maîtrise technique, flexibilité vocale, légèreté et raffinement. Rossini signe ici deux magnifiques rôles de femmes soprano et contralto et les interprètes de ce mélodrame héroïque en sont le parfait révélateur. 
Patrizia Ciofi domine cette distribution et nous offre l’une de ses plus incandescentes compositions. Son Amenaide déchirée est une merveille de virtuosité, d’engagement scénique et d’émotion. 
Pour sa prise de rôle, Marie Nicole Lemieux réussit son incursion dans le genre seria et incarne un Tancrede éprouvé par le destin, à la fois jeune et touchant. Les accords de voix dont le compositeur joue à merveille sont sublimés par ces deux artistes. La direction de Enrique Menzola est superbe de finesse nous révélant pleinement cette écriture orchestrale si réjouissante. La mise en scène sobre et froide est à l’opposé des couleurs rossiniennes.

Cet opéra contribua à la reconnaissance mondiale du jeune Rossini de 21 ans. En 1813, Tancredi est une révolution dans le genre opera seria. Le compositeur a déjà écrit neuf opéras bouffes et il va apporter au genre la vivacité qui le caractérise et soigner de courts récitatifs pour éloigner l’ennui. Il donne ainsi vie à des mélodies simples qui emportent tout et surtout l’adhésion du public.